Une critique de l’Ecole « républicaine » résolument révolutionnaire

Par Nadine Lanneau, professeure documentaliste de l’Education nationale, retraitée. Publié dans Système éducatif.

« Contre l’école injuste »

De nombreuses critiques se sont souvent élevées pour dénoncer l’échec de l’école « républicaine » quand d’aucun•e•s veulent la restaurer, dans la nostalgie de temps soit-disant paradisiaques ; or, toutes les études sérieuses démontrent qu’elle est profondément inégalitaire depuis ses origines et que les inégalités qui la fondent, ne font que s’amplifier à l’heure actuelle, malgré la longue litanie des rapports, études et réformes qui se succèdent.

Les auteurs : Philippe Champy et Roger-François Gauthier

  • Philippe Champy, diplômé en philosophie, en science de l’information et en science politique des universités Paris I et Paris IV (Sorbonne) et de l’Institut d’études politiques de Paris, s’est d’abord consacré durant 15 ans au développement des ressources pour la recherche pédagogique à l’Institut national de recherche pédagogique, menant en parallèle, une activité de conseil éditorial.
  • Depuis 2000, Roger-François Gauthier, inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, est l’auteur ou le co-auteur de rapports notamment sur l’évaluation des établissements, les acquis des élèves, l’orientation active, le baccalauréat, les diplômes de licence et de master, la carte scolaire.
  • Tous les deux ont signé « Contre l’école injuste » en août 2022.

***

Une réflexion révolutionnaire sur les savoirs

Luc Cédelle, journaliste au Monde a consacré à Philippe Champy, une interview dont voici une courte synthèse, l’article étant réservé aux abonnés.

  • Luc Cédelle demande pourquoi les deux auteurs dénoncent le « piège » du cloisonnement disciplinaire de l’enseignement :

R : « Notre critique est plus fondamentale : elle porte sur l’élitisme inconscient qui marque l’imaginaire éducatif français, notamment dans sa définition des savoirs à enseigner, et sur l’incapacité de la République jusqu’à aujourd’hui à définir les finalités de l’école démocratique du XXIe siècle. Sur ce dernier point, nous appelons à ce que cette définition soit élaborée à un niveau constitutionnel, obligeant les pouvoirs publics à la mettre en œuvre au long cours. Ce n’est qu’ensuite et sur cette base que de nouveaux programmes en phase avec un nouveau paradigme institutionnel pourraient voir le jour.

  • Luc Cédelle s’interroge alors sur la pertinence de cette réflexion : « Face au contexte de doute et de relativisme généralisé, vous voudriez que la question de la « vérité » soit centrale à l’école ».

R : « Notre position sur les savoirs et leur validité est d’ordre épistémologique : un objectif majeur de l’école devrait être d’éclairer les élèves non seulement sur leur rapport aux savoirs enseignés par les diverses disciplines, mais aussi sur leur rapport au savoir en général, et donc à la vérité ».

Changer les apprentissages, que les élèves aillent au-delà des connaissances elles-mêmes :

« Sinon, l’école reste trop prisonnière de biais hérités du passé, ceux des vérités « révélées » ou des visions imposées comme allant de soi ». Par exemple, celles qui ont longtemps justifié l’exploitation éhontée des ressources naturelles et des êtres humains ».

On développe une pensée dogmatique chez les élèves en les formatant.

Et si l’on retient ce tweet d’Edgar Morin, philosophe et sociologue de la pensée complexe :

« Les esprits formatés attribuent toujours des opinions unilatérales à ceux qui perçoivent les doubles et multiples aspects des choses de la vie et de l’histoire humaines ».

Risques majeurs…

Les savoirs hiérarchisés et les inégalités

Enfin, les deux auteurs voient aussi la source des inégalités dans les savoirs hiérarchisés. Que l’on pense aux mathématiques portées de façon insensée au pinacle pour des raisons de compétition et d’accès aux plus hauts postes de la Société – la mathématique n’y gagne pas ! – mais à une autre époque, ce furent les Humanités, latin-grec ; les matières secondaires sont toujours rejetées à la marge, les matières artistiques etc.

 « Lorsqu’on établit entre les savoirs une hiérarchisation qui reflète les positions de pouvoir ou de privilèges dans la société, on favorise un biais élitaire, inégalitaire ».

« Idem lorsqu’on marginalise les « savoirs du corps et de la main », pourtant fondamentaux pour le développement intellectuel et physique des enfants et des jeunes, au profit de savoirs décontextualisés ». 

La réflexion des deux auteurs va très loin puisqu’elle remet en question l’ordre social et des conceptions pédagogiques complètement dépassées et néfastes pour « le développement intellectuel et physique » des enfants et des jeunes. Le corps est morcelé et cela vient de loin, dans une école aux conceptions traditionnelles et laïque aux conceptions paradoxalement religieuses : corps et esprit y sont définitivement séparés, avec prédominance de l’esprit désincarné qui, de façon systémique, modèle tous les aspects de la vie des établissements et des élèves jusqu’au mobilier et aux gestes, aux relations, etc.

Des savoirs qui n’assurent pas l’avenir des élèves

Et Philippe Champy déclare en conclusion à Luc Cédelle :

« Nous pensons que la transmission des « vérités du passé » ne suffit pas à répondre aux objectifs que devrait se donner, en démocratie, l’école contemporaine. Il faut équiper les élèves de nombreux savoirs et des codes qui permettent de décrypter le monde et les enjeux planétaires qu’ils auront à assumer ».

Une bifurcation de l’éducation est plus que jamais nécessaire et doit aboutir à un renversement complet de paradigme, c’est-à-dire à l’abandon des vieux oripeaux du monde ancien.

Nadine Lanneau

Recension de l’article de Luc Cédelle du 16 janvier 2023 dans le Monde

En savoir plus sur le livre :

Lire la note de lecture rédigée par Charles Hadji, Professeur honoraire de l’Université Grenoble Alpes.

« L’école doit assumer d’authentiques finalités démocratiques et être au clair avec les défis planétaires : Contre l’école injuste »

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