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Ici des textes qui préparent et annoncent la bifurcation de la société à plusieurs niveaux : articles, déclarations, annonces, etc.
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Mai 2023
Convergences émancipatrices
Didier Eribon (Libération 9 mai 2023) : « Simone de Beauvoir dans Le Deuxième sexe en 1949 se demandait : « Pourquoi les femmes ne disent-elles pas « nous« , alors que les ouvriers disent ‘nous’ que les noirs aux Etats-Unis disent « nous » ? Quand elle présente son livre sur les « vieillards », elle dit d’entrée de jeu qu’elle veut « faire entendre leur voix », entérinant le fait qu’ils ne peuvent pas dire « nous … »
Les enfants non plus, d’où cette autre :
Bifurcation
L’actualité est telle que « le jour d’après » qui nous a initialement mobilisés (cf l’appel de 2020) paraît lointain. Les retraites, l’arrogance du pouvoir et ses casseroles, la guerre… nous incitent à réfléchir « en même temps » sur l’éducation au présent, face à l’état inquiétant des enfants et adolescents. Une « bifurcation » dans l’esprit de celle du 11 mai 2022 exigée par les étudiants d’Agro Paris Tech devrait s’imposer. Le texte suivant en explore une des voies souhaitables.
De l’enfant-objet à l’enfant-sujet
« Me Too » (octobre 2017) a porté un coup décisif à la domination masculine qui, selon l’anthropologue Françoise Héritier est universelle et remonte à la préhistoire.
En octobre 2022, Libération célèbre cet anniversaire : « Le mouvement #Me Too a rendu possible quelque chose qui semblait inimaginable il y a quelques années : entendre les femmes. Une « libération de la parole » mais surtout de l’écoute qui n’empêche pas certains discours sexistes de persister » et évoque Annie Ernaux : « qui écrit ce qu’elle devrait taire et qui, l’écrivant permet à celles qui suivront de ne plus avoir à se taire » (Libération 12-10-22).
Cette longue marche émancipatrice a été rendue possible parce que les femmes ont su enfin «se faire entendre».
Il importe aujourd’hui de réfléchir au fait qu’aucun mouvement « Me Too » ne permettra aux enfants de « se faire entendre», et que cette évidence nous fait le devoir, sinon de parler pour eux, du moins de réunir les preuves que leurs souffrances sont encore plus nombreuses et odieuses que celles des femmes. C’est un préalable pour que la bifurcation qui les concerne soit envisagée sous tous ses aspects. Toute personne qui accepte d’envisager cet objectif sait, ou peut admettre qu’il n’y a là aucune exagération en prenant connaissance des quelques constats rassemblés sur le sujet. (1)
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Poursuivant le travail entrepris sur le sujet «EDUCATION, BIEN COMMUN» (éditions Massot), nous entendons affirmer que notre système scolaire est aussi un lieu de souffrances et bousculer la bien-pensance des «défenseurs» de l’école «qui s’expriment dans les journaux et qui ont en commun d’avoir tiré profit du jeu scolaire». (2)
Nous avons pu écrire (27 mars 2023) : «Les raisons de bifurquer deviennent chaque jour plus évidentes. Harcèlement, décrochage, phobie scolaire, détérioration de la santé mentale des enfants et des adolescents, sont mis en évidence dans les journaux, à la télé», mais nous appelons à sortir de la rubrique «faits divers» et à aller à la racine du problème qui concerne aussi bien les travailleurs, les femmes, les enfants, les « dominés ». A la racine, il y a évidemment le patriarcat, mais nous essaierons seulement de poser ici la question du statut qu’on leur accorde, et les bases d’une action qui devrait s’imposer tout autant que « Me Too ».
STATUTS
LES TRAVAILLEURS
Dans la société industrielle, naissante, Marx pouvait définir le prolétaire comme un travailleur «qui, n’ayant ni capital ni rente foncière, vit uniquement de son travail, d’un travail abstrait et monotone». Le prolétaire est un objet dont on dispose comme une machine. (3) Cette société s’est complexifiée mais le nombre de personnes qui vendent leur force de travail et exécutent des tâches sans intérêt est tout aussi grand. Cette complexification rend le projet émancipateur lui aussi plus complexe.
LA FEMME
Le statut d’objet a une place majeure dans la lutte émancipatrice des femmes qui dénoncent ce fait immémorial et qui combattent les aliénations qui les accablent et revendiquent un statut de sujet.
LES ENFANTS
Les travailleurs et les femmes luttent pour leur émancipation. Les enfants, mis à part les plus grands, ne sont pas en mesure ne serait-ce que d’analyser le problème. C’est donc notre devoir d’entreprendre cette analyse et d’envisager les voies de leur émancipation dont l’institution parle abusivement, depuis Jules Ferry, en réduisant cet objectif à la transmission de savoirs… ce dont on peut discuter !
Nous verrons que les jeunes adultes, ceux du « 93 » (Lycée Le Corbusier -Seine Saint-Denis en 2016) et ceux sortis des Grandes Ecoles qui ont exprimé leur volonté de « BIFURQUER » peuvent nous y aider.
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ANALYSE
Dans la sphère familiale, ce statut d’objet est évident, non seulement dans les actes criminels dénoncés par l’INED, mais aussi dans le formatage éducatif, la transmission des « valeurs » (traditions, religion, « récits » historiques, etc.). Les parents sont de plus en plus nombreux à prendre conscience de la réalité volontaire ou insidieuse de ce problème. Ils constatent aussi qu’il est difficile de s’en dégager. Des sociologues pourraient décrire comment le statut de sujet s’impose progressivement. La bifurcation objet/sujet suit son cours dans notre société. Elle peut sembler irréversible mais les systèmes totalitaires peuvent engendrer des régressions comme dans la Russie de Poutine. (4)
Dans le système scolaire public, qui fait l’objet de notre réflexion, nous appelons à réfléchir aux faits suivants concernant :
LE STATUT DES ENFANTS
– à l’école maternelle, alors que le pouvoir actuel cherche à en faire la propédeutique de l’école primaire, par des évaluations hâtives, les enfants sont très majoritairement traités comme des sujets, tout autant et probablement mieux que dans la moyenne des familles.
Ils peuvent se déplacer librement, jouer, exister en sujets de leurs créations inventives. Ils sont invités à découvrir et respecter les différences (sexe, couleur, âge, comportements). Ils se socialisent, apprennent à coopérer et y sont encouragés et accompagnés par des adultes bienveillants. Le processus «d’auto-socio-construction» est objectivement en cours (plus ou moins clairement théorisé).
– à 6 ans, ils se trouvent soudain enfermés dans la salle du «cours préparatoire», contraints à des apprentissages dont ils ne comprennent pas précisément l’intérêt et la nécessité. Apprentissages qui laissent peu de place au respect du rythme de chaque enfant, et dont la fonctionnalité est très réduite, peu perceptible (sinon la fonction : satisfaire la maîtresse ou le maître, les parents). Les enseignant•e•s peuvent s’efforcer d’en ouvrir le champ culturel, mais la régression actuelle rend cette attitude presqu’impossible parce qu’il faut suivre le programme et sa temporalité. Les enfants deviennent objectivement des objets dont les étapes de formatage sont suivies attentivement : les évaluations se multiplient et l’on accorde à celle « du milieu d’année » une possibilité prédictive de réussite ultérieure ou d’échec.
Les parents acceptent ce changement, ils savent qu’un retard pris à 6 ans et demi risque de coûter très cher au cours du processus de sélection. Il leur semble normal de dire « maintenant tu es grand, tu vas à la grande école », sous-entendu, il est temps que tu découvres la dure contrainte du travail. L’enfant peut en être fier, se résigner ou en souffrir.
Il est possible de comparer cette attitude « réaliste » avec un rite d’initiation…
– de 6 à 17ans, le formatage se poursuit, les enseignants en sont chargés sans trop le mettre en cause.
– A 18 ans, après le bac, ils pourront plus facilement s’affirmer en tant que sujets mais le long formatage qu’ils ont subi à partir de leur sixième année aura laissé des traces…
LES ENSEIGNANT•E•S ET LEURS CONTRADICTIONS
Celles et ceux qui se considèrent enseignants et éducateurs s’efforcent de respecter leurs élèves en tant que sujets, individus et êtres sociaux… mais ils doivent avant tout respecter les programmes pour qui les élèves sont des objets à formater, à évaluer, à sélectionner, principalement en prévision de leur insertion dans la hiérarchie économique.
Les adeptes des diverses formes d’Education Nouvelle, sont donc dans l’obligation de gérer l’antagonisme objet/sujet et se trouvent dans une contradiction douloureuse. Ils s’efforcent de donner du sens aux obligations qu’ils subissent, tout autant que les enfants…Contradiction permanente d’autant plus dure à supporter qu’ils sont très rarement majoritaires dans leur établissement !
Ils ne cessent d’espérer qu’un changement politique puisse, un jour, (5), faire prospérer le fruit de leurs recherches et parfois militent politiquement à cet effet. Ils ne peuvent que constater, comme nous le faisons ici, que les organisations politiques évoquent volontiers le concept éducation mais se gardent de dénoncer le rôle du système scolaire dans la reproduction sociale comme a osé le faire le sociologue Pierre Bourdieu.
Il est possible de faire une hypothèse : la cause de cette difficulté récurrente pourrait se trouver dans l’attachement à l’idée ancestrale de transmission… La gauche tout autant que la droite, les croyants de toutes religions, les parents, souhaitent transmettre leurs « valeurs ».
…Et une objection : pourquoi la Finlande est-elle capable d’apporter des réponses audacieuses, évolutives et satisfaisantes alors que les Finlandais vivent dans un système politique comparable au nôtre et sont sans doute, tout autant que les Français, attachés à leurs « valeurs » ?
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SOUS STATUT DE SUJETS,
LES « ELEVES » PEUVENT CONTRIBUER AU PROCESSUS EMANCIPATEUR !
- Les écoliers ne sont pas en mesure de s’exprimer, avec les mots justes sur leur vécu scolaire. Nous venons de donner un coup de projecteur (de la maternelle à la classe terminale du lycée) qui risque de bousculer… Le chantier de l’analyse est ainsi ouvert.
- Les collégiens sont en âge de pouvoir décrire leurs malaises, constater des incohérences du système, formuler un avis sur les matières, affirmer leur manque d’intérêt, apprécier la pédagogie, et mieux encore analyser les rapports entre élèves, mais ne sont pas en mesure de théoriser. Les professeurs pourraient les y aider si un temps était imparti à cet effet. Ils pourraient être au moins invités à rassembler leurs constats systématiquement.
Il faut des évènements, suicides, harcèlements, phobie scolaire pour que les medias enquêtent. Libération (18 mars) donne la parole à 4 enfants dont celui glaçant d’une collégienne qui a subi des horreurs dans l’indifférence de l’institution. La sociologue Margot Déage, autrice de « A L’ECOLE DES MAUVAISES REPUTATIONS » constate que « l’insensibilité est forte au collège où l’empathie n’est pas la bienvenue » où « la dérision prime ». « En public, les élèves affirment qu’ils vont bien mais quand on discute seul à seul, beaucoup confient ne pas pouvoir être eux-mêmes ni exprimer certaines émotions comme la tristesse ».
Le statut de sujets n’étant que très partiellement attribué aux collégiens, ceux-ci l’affirment de manière plus ou moins insolente, bruyante, intempestive. Les parents peuvent constater à la télévision cette réalité (faussée par la présence de la caméra) qui signe la fin d’un système basé sur l’autorité. Il faut souvent semble-t-il, un quart d’heure pour commencer les cours… et le chahut, la poursuite des conflits, la dérision, les impertinences, semblent s’imposer inévitablement. Une mesure qui ne résout pas le problème mais qui en atténue les dommages en termes d’enseignement, des cours passant de 50 à 90 minutes a été expérimentée.
- Les lycéens, devenus de jeunes adultes, sont en mesure d’analyser lucidement leur passé scolaire. L’exemple le plus édifiant a été recueilli par le CESE (Conseil Economique Social et Environnemental) en 2016. Des élèves, le Proviseur et plusieurs professeurs du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers étaient appelés à témoigner. Ce témoignage a été rendu possible grâce à une innovation auxquelles les élèves rendent eux-mêmes hommage (classes à effectifs réduits). Voir la page « 17-02-2015 : table ronde autour d’une école de la réussite pour tous ». La vidéo est toujours accessible.
La parole a été longuement donnée à une dizaine d’élèves de « l’atelier culturel » qui se sont répartis les interventions autour de trois thèmes : « l’importance de la pression, l’importance de la culture, l’importance du plaisir ».
Occasion de dénoncer « l’école lieu de souffrance », « la compétition malsaine pour la meilleure note (de la classe) au détriment du savoir » – de décrire « la solidarité, l’entraide, le travail en groupe et la mutualisation qui permet de combler les lacunes avec les points forts des autres » – de constater «qu’il faut défaire la représentation qu’ont les parents de l’école et leur montrer que la qualité de l’apprentissage est plus important » – de dénoncer « la pression sur les profs qui doivent finir le programme et ne donnent pas le temps de comprendre, et sur l’élève qui doit restituer ses connaissances sans même les comprendre ». (6)
Une enquête beaucoup plus large est à organiser pour demander aux grands élèves des lycées (techniques, professionnels compris), ce dont ils se souviennent de leurs années d’école et de collège…
Des étudiants (« sujets » à part entière), notamment les plus brillants (d’Agro Pari Tech à Polytechnique) ont procédé, lors de la remise des diplômes, à une analyse de l’enseignement qu’ils ont reçu et conclu à la nécessité d’une « bifurcation ».
Un universitaire vient d’illustrer et concrétiser leur critique de l’enseignement dispensé. Dans une tribune du MONDE Sciences & Médecine (19 avril 2023) le Pr. Nathanaël Wallenhort appelle à méditer sur les «enseignements trompeurs dès le lycée» qui permettent de poser la question suivante au « baccalauréat » : « A partir d’un exemple, vous montrerez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance » !
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STRATEGIE
Dans l’impossibilité d’espérer un « Me too » exprimé par les enfants, il faut réfléchir à une stratégie de remplacement (nous n’avons ni les moyens ni l’intention de réaliser une enquête avec des questions qui orientent plus ou moins les réponses comme celle du ministère).
Nous proposons la stratégie suivante :
Mettre en œuvre les deux propositions déjà énoncées :
1/ que les professeur•e•s d’école recueillent des expressions de souffrance ou de colère en précisant âge, circonstances de cette expression, et les opinions exprimées dans les éventuels « conseils de coopérative »
2/ que les professeur•e•s de collège fassent le même travail en recueillant particulièrement les opinions relatives au système, son organisation, la pédagogie, l’existence ou non de moments de régulation de la vie sociale scolaire, la nature et l’importance des problèmes relationnels
A cet effet, les mouvements pédagogiques et les syndicats seraient sollicités pour inviter leurs militant•e•s à rassembler les preuves des souffrances et des aliénations que le système ignore ou entretient et parfois génère.
Il sera alors possible :
– de rendre perceptible l’enfermement des élèves dans un statut d’objet et de faire connaître les situations exploitées pour construire le statut de sujet
– de convaincre les « dominé•e•s » en lutte, en premier les mouvements féministes, mais aussi les syndicats ouvriers, les associations d’Education Populaire (1), les pédopsychiatres, les psychologues, que les batailles pour le statut de sujet doivent converger
– d’envisager une action retentissante comparable à « Me too », et de proposer une alternative qui pourrait retenir les idées développées dans nos deux appels :
– Celui de 2020 ayant pour objectif « une éducation pour faire face au jour d’après » qui affirmait : « l’éducation ne doit pas dépendre d’un quelconque pouvoir politique ou économique mais faire l’objet d’une construction collective évolutive élaborée démocratiquement ».
– Celui de 2022 : « C’est tout le système éducatif qui doit bifurquer » où sont développés de nouveaux arguments à la suite et dans l’esprit des étudiants des « grandes écoles » qui avec Agro Paris Tech appelaient à « bifurquer »
Raymond Millot 22 04 23
NOTES
(1) Le patriarcat est à l’origine de ces souffrances depuis des temps immémoriaux. Lors de larévolution industrielle, le travail des enfants parfois à partir de 5 ans, réglementé à partir de 8 ans (évoqué par V. Hugo « où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit… »). Cette situation et les abus de l’autorité parentale ont donné naissance à une politique de protection de l’enfance qui débute avec les lois de 1889 et 1898. Il existe aujourd’hui « une défenseure des enfants, une institution indépendante chargée de défendre les droits de tous les jeunes jusqu’à 18 ans, nommée par le président de la République ». Cette « protection » couvre le fait qu’en 2022, on peut estimer qu’il y aurait au moins 2 enfants par classe abusés sexuellement dans sa famille, que 300 000 enfants ont subi des abus sexuels au sein de l’Eglise catholique depuis 1950. Etc … Un dossier effrayant témoigne de ce « statut d’objet » mis en question dans ce texte.
(2) « Changer l’école ou la sauver, une polémique médiatique » (éd.PUF) Yann Forestier.
(3) La chaîne LCP diffuse 4 émissions édifiantes sur « Le monde ouvrier ».
(4) Reportage France 5 (16 avril 23). OLGA , instructrice dans « l’armée des jeunes » : «Les enfants sont un terreau fertile et il nous revient d’y planter la bonne graine. Il faut profiter de la période où ils sont encore petits. Ce que nous mettrons dans leur tête déterminera ce qu’ils seront dans le futur. Un jour, ce sera leur tour de payer leur dette envers leur pays. Oui, ça fait de la peine de devoir sacrifier ses enfants (…) un enfant naît pour être défenseur de sa patrie. Une fille pour être la gardienne de son foyer».
(5) 1968 : Une effervescence a été habilement permise au cours d’une courte période (Edgar Faure ministre de l’Education jusqu’en juin 69). Au cours de la période qui a suivi, quelques idées, comme l’organisation en cycles expérimentées dans le XXème ont été reprises (et caricaturées), et certains projets audacieux ont vu le jour (dont celui de la Villeneuve de Grenoble, né avant 68 et mis en œuvre en 72 sous «statut expérimental» qui a pu se développer grâce à une municipalité animée par le PSU.
De 1981 à 1984 : les militant•e•s pédagogiques ont espéré qu’Alain Savary pourrait faire «bouger les lignes» mais la grande manifestation des partisans de «l’école libre» (privée) a provoqué sa démission.
De 1997 à 2000 : sous Jospin, ils auraient pu espérer mais avec Claude Allègre et Ségolène Royal… Nous avons rencontré cette dernière mais elle s’est reconnue impuissante face à l’Inspection Primaire et l’Inspection Académique qui travaillaient à la mort de la Villeneuve de Grenoble.
2012-2014 : Vincent Peillon. C’était le ministre le plus prometteur (donner à l’élève «la liberté du choix», «il faut être capable de l’arracher à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel») mais il n’a tenu que 2 ans. Le conservatisme du système et du corps enseignant …
2017-2022 : La régression a montré ses possibilités pendant 5 ans avec Blanquer (elle peut prendre de nouvelles formes au cours des années qui viennent).
(6) Les Lycéens du lycée Le Corbusier remercient « le proviseur qui a instauré de nombreuses classes à effectifs réduits » et saluent «la pédagogie de l’écoute et du dialogue pour connaître les élèves». Ils savent les inconvénients des effectifs chargés. L’ensemble de ce reportage exceptionnel est toujours accessible dans cette vidéo.
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Avril 2023
Bifurcation du système éducatif
Premières étapes d’une longue marche
« Le harcèlement qui fait l’actualité, mais aussi la phobie scolaire » ou « refus scolaire anxieux », le décrochage, permettent d’examiner d’autres aspects de la bifurcation nécessaire ».
2017 – alors que le GIEC commençait à se faire entendre, dans le texte « Avant qu’il soit trop tard » nous estimions déjà «que les enfants n’échappent pas au sentiment diffus d’une menace et qu’il serait préférable de leur proposer d’être, à leur niveau, acteurs dans cette mobilisation »
2020 – lancement d’un appel ayant pour objectif une éducation pour faire face au jour d’après (ce « jour d’après » qui préoccupait alors 16 grandes organisations) : l’éducation ne doit pas dépendre d’un quelconque pouvoir politique ou économique mais faire l’objet d’une construction collective évolutive élaborée démocratiquement.
2021 – dans « L’éducation, un bien commun »(éd. Massot) le changement de paradigme dans le domaine de l’éducation est exploré et le problème de la transition mis en chantier
2022– nouvel appel « C’est tout le système éducatif qui doit bifurquer » où sont développés de nouveaux arguments à la suite et dans l’esprit des « grandes écoles » qui avec Agro Paris Tech appelaient à « bifurquer » et même « déserter » !
2023 – Les raisons de bifurquer deviennent chaque jour plus évidentes. Harcèlement, décrochage, phobie scolaire, détérioration de la santé mentale des enfants et des adolescents, sont mis en évidence dans les journaux (1) à la télé… Quant au « sentiment d’une menace diffuse » déjà constaté en 2017, ce sentiment s’est transformé pour de nombreux enfants en conscience d’un avenir dangereux. Le20 mars , un membre éminent du GIEC, Jean Jouzel, déclare « « La trajectoire actuelle d’augmentation de la température, si elle devait se poursuivre, ne permettrait pas aux jeunes d’aujourd’hui de s’adapter sans difficulté au réchauffement ». Il estime que « chaque dixième de degré compte »
Il appelle implicitement à une mobilisation générale et nous pouvons affirmer de nouveau qu’elle doit inclure les enfants, qui en agissant feront reculer leur peur et seront ainsi reconnus comme des sujets responsables et non plus comme des objets que l’on forme pour la production, selon le modèle de l’ancien paradigme.
2023…2027 Faute de pouvoir léguer à nos enfants un avenir radieux, les années qui viennent nous font un devoir de leur épargner les souffrances qu’ils sont nombreux à connaître dans le système scolaire. De leur donner des raisons de vivre une vraie vie, ici et maintenant, aussi heureuse que possible.
Le harcèlement qui fait l’actualité, mais aussi la phobie scolaire » ou « refus scolaire anxieux », le décrochage, permettent d’examiner d’autres aspects de la bifurcation nécessaire.
Certes, les pédagogues militants estimeront à juste titre, qu’il est possible d’instaurer des rapports coopératifs entre les enfants, d’instituer des temps de réflexion sur les rapports sociaux et de contribuer à « l’auto-socio-construction » de chaque individu. Et sans faire disparaître les difficultés inhérentes à cette période de la vie, d’en éliminer certaines causes.
Leurs pratiques faciles à mettre en œuvre à l’’école, se heurtent au collège au système de transmission des savoirs sur la base de programmes et de disciplines cloisonnées. Les professeurs peuvent sans doute inventer des solutions quand les conditions s’y prêtent. L’exemple qu’il m’est possible de citer est celui de la Villeneuve de Grenoble avec ses « mini-collèges de 100 enfants ».Les professeurs pouvaient connaître les enfants, se concerter sur les cas difficiles, établir des règles communes Ils bénéficiaient de certaines conditions horaires dont le coût était sans doute largement amorti par le bénéfice social…
Ces pratiques utiles et efficaces ne font qu’aménager intelligemment et utilement un projet d’enseignement qui se prétend « éducatif »et dont le caractère gratuit et obligatoire est apprécié au point d’en empêcher la critique …
Il y a lieu de penser que les grands rassemblements qu’imposent les collèges (parfois plus de 500 élèves), avec les multiples déplacements dans les couloirs, les concentrations dans la cour, sont propices à une « socialisation » sauvage et favorisent ces pratiques de harcèlement portant sur le sexe, l’apparence, la couleur, le travail scolaire, l’origine sociale. Les profs se concentrent sur leurs programmes, dans le cadre d’un emploi du temps acrobatique, fait de successions de cours sans cohérence où le bien- être des enfants a peu de place. Pour de multiples raisons, ils passent souvent devant ces faits asociaux sans les voir, ou en évitant de les regarder (des exemples glaçants ont été publiés) (2). Le système dit « éducatif » ne leur donne pas la possibilité de jouer un rôle dans la socialisation des adolescents.
En 1971, les trois phénomènes inquiétants cités ne choquaient pas spécialement. Ivan Illich en aurait fait des arguments supplémentaires en faveur d’une « société sans école » …
Rares sont les intellectuels qui font comme Ilitch une critique radicale de l’école. Mais cette idée de « société sans école » est-elle concevable ?
L’idée n’est pas étrangère à une réflexion alimentée par certaines expérimentations de longue durée (1962/ 2002) (écoles expérimentales du XXe arrondissement et Villeneuve de Grenoble).
En 2014 dans la brochure « école ouverte- recherche action – société éducatrice » (fruit de l’expérience Villeneuve de Grenoble) nous avons pu décrire cette « société éducatrice » qui commençait à se profiler sous la forme d’une « coéducation » (avec les parents) s’élargissant au monde du travail (divers personnels municipaux) aux structures socio-culturelles du quartier et aux associations locales.
En 2022, les perspectives d’un possible « effondrement » se dessinent. Les catastrophes déjà visibles (certaines conjuguées dévastent aujourd’hui la Californie).La fonte des glaciers, les déficits d’eau ne peuvent échapper à l’attention des enfants. Ces faits irriguent leurs peurs inconscientes et pas seulement celles des 1,6 million d’enfants ayant besoin de soins pédopsychiatriques dont parle la Cours des comptes (3)
Notre appel/manifeste « C’est tout le système éducatif qui doit bifurquer » (signé significativement par des personnalités très diverses (liste sur le site en page d’accueil), évoque précisément «l’éco-anxiété(qui) touche un nombre croissant de jeunes. C’est aux professeurs d’en observer et relater l’expression qu’elle soit celle de la fuite, de la résignation, de la révolte ou du désespoir. Il ne s’agit pas d’ajouter aux programmes une nouvelle matière, le « développement durable », mais d’organiser un réel engagement dans la mobilisation générale qui s’impose…et qu’il s’agit de préparer ».
En 2023, nous devons examiner concrètement comment, dans le cadre du système éducatif existant, une pédagogie audacieuse peut contribuer à éviter ces souffrances en associant les enfants aux efforts des collectivités locales, des associations citoyennes, et de leurs professeurs eux-mêmes mobilisés.
L’expérience acquise par les militant-es et dans la recherche permet d’imaginer que les enseignants soient invités à généraliser et systématiser la « pédagogie du projet » (4) et à en faire la base essentielle de la construction et de la transmission des savoirs.
Pour opérer réalistement la transition avec le système actuel, une ambitieuse recherche-action serait proposée à tous les établissements ou fraction d’établissement souhaitant s’y engager et s’engageant à en faire un projet commun avec les parents et les collectivités locales (5).
Les enseignants auraient alors la responsabilité de redéfinir leur fonction. Leur « liberté pédagogique »s’exercerait dans le cadre d’un contrat avec un Institut pédagogique ad hoc qui suivrait l’opération avec les moyens nécessaires et ferait partager les fruits de l’expérimentation (6)
Ils devraient en particulier analyser avec les enfants les caractéristiques de l’expérience vécue, les problèmes à comprendre, lister et programmer les savoirs à approfondir. Leur fonction de « transmission » s’opéreraient ainsi dans des conditions fonctionnelles et serait ainsi comprise et appréciée par les élèves. Leur rôle dans l’auto-socio-construction de chaque enfant leur conférerait une reconnaissance et un respect accrus.
Les problèmes relationnels, inévitables chez les adolescents, ne disparaîtraient pas mais ne seraient pas occultés. Les temps consacrés systématiquement à la vie coopérative permettraient de les analyser, contribueraient au projet émancipateur général. Il y a lieu de penser que les liens établis au cours des actions communes permettraient de les analyser, les relativiser et les traiter avec objectivité.
Une «Société sans école » prenant cette forme continuerait, dans des conditions matérielles et temporelles à définir, pourrait assurer son rôle de « garderie » que lui impose la société moderne et qui permet le travail des parents, et notamment celui des mères, garant de leur émancipation.
En l’état actuel, ce service est un lieu de souffrance pour un nombre considérable d’enfants, et un lieu d’ennui et de résignation pour beaucoup d’autres. Un lieu dont la majorité des parents doivent actuellement se contenter. Seuls les plus privilégiés l’évitent et le plus souvent cherchent dans le privé le moyen de garantir la transmission de leurs privilèges. Mais d’autres peuvent aussi légitimement chercher à préserver leurs enfants d’une possible souffrance.
L’ère du capitalocène invite à la bifurcation dans de nombreux domaines. Celle que nous préconisons dans le domaine éducatif aurait un caractère émancipateur évident et garantirait que cette « mobilisation » des enfants et des adolescents ne puisse se confondre avec un classique enrégimentement ou un nouveau formatage.
NOTES
(1) Harcèlement, décrochage, phobie scolaire, détérioration de la santé mentale des enfants et des adolescents, sont mis en évidence dans les journaux, à la tv, sur Internet, dans les réseaux sociaux :
Harcèlement :
Chaque année, trente à quarante enfants de moins de 15 ans se suicident (Inserm-Cépidc 2017) « Entre 800 000 et 1 million d’enfants seraient victimes chaque année de harcèlement scolaire selon un rapport du sénat rendu en 2021 » . La sociologue Margot Déage constate que « les atteintes physiques ou verbales touchent davantage (les) garçons…. Les logiques de classe, sexiste, raciste ou homophobes (…) favorisent la « mauvaise réputation » à cet âge (celui du collège) décisif de la construction sociale de l’identité ». Les cyber-agressions, le sexisme ou les violences sexuelles ne sont pas prises en compte dans les chiffres officiels… Le taux de 5,5% de collégiens victimes de harcèlement sévère selon la dernière enquête nationale serait «largement sous-évalué ».Elle constate que « l’insensibilité est forte au collège où l’empathie n’est pas la bienvenue » où « la dérision prime » « en public, les élèves affirment qu’ils vont bien mais quand on discute seul à seul, beaucoup confient ne pas pouvoir être eux-mêmes ni exprimer certaines émotions comme la tristesse »
Toutes ces citations sont tirées de l’interview de la sociologue, autrice de « A L’ECOLE DES MAUVAISES REPUTATIONS » (Libé 18 mars 23. Margot Déage ne fait que souhaiter (dans l’interview) « une meilleure écoute par l’institution », déplore le « manque de personnel pour accompagner les enfants dans leur vie sociale », évoque la nécessité de « qualifications pénales et judiciaires » de certains actes… et se préoccupe longuement du rôle des réseaux sociaux. Ces conclusions dépourvues d’ambition sont révélatrices d’une certaine résignation devant l’ordre établi.
Phobie scolaire :
le Monde du 19 mars y consacre une page avec un reportage sur un service du CHU de Montpellier. « Ces enfants sont tellement anxieux à l’idée d’aller en classe qu’ils développent des symptômes somatiques : maux de ventre le matin, la veille de la rentrée (…) vomissements mais aussi attaques de panique. Parfois ils tombent en dépression
Décrochage :
Ce processus qui conduit chaque année des jeunes à quitter le système de formation initiale sans avoir obtenu une qualification est d’une importance telle que « l’Institut des Hautes Etudes de l’Education et de la formation » en fait un sujet : « La prévention du décrochage scolaire : déterminants et leviers d’intervention ».
Chacun.e de nous a connaissance de cas, est parfois concerné•e….
(2) LIBERATION 26 12 2022 Harcèlement scolaire : «Dès les premières insultes, j’ai cessé de m’aimer».
Injuriée, frappée, aspergée d’essence et menacée de mort : Anne-Liz Deba a vécu un véritable calvaire au collège, aggravé selon elle par l’inaction de l’équipe pédagogique qui minimise les faits, et semble les tolérer, comme les multiples institutions qui tolèrent le bizutage… Durablement traumatisée, elle tente aujourd’hui d’aider d’autres victimes à se reconstruire.
(3) La Cour des comptes « dans un rapport rendu publique estime que 50% des enfants et adolescents souffrent de troubles psychiques » « sur 1,6 millions souffrant de troubles psychiques, seuls 750 000à 850 000 bénéficient de soins en pédopsychiatrie » (LIBERATION 22 mars 2023)
(4) La pédagogie du projet vise à impliquer les enfants dans des actions qui les intéressent et qui donnent aux transmissions du savoir, prévues dans les programmes, des raisons fonctionnelles, que les enfants comprennent et auxquelles ils adhèrent plus volontiers.
(5) Un tel projet commun a été réalisé pour le premier quartier de la Villeneuve de Grenoble (9000 habitants)
(6) L’INRP (Institut National de la Recherche pédagogique) a joué ce rôle pendant une quinzaine d’années à la Villeneuve de Grenoble
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N.B. Un petit calcul réaliste montre le peu de temps qu’il reste d’ici 2050 pour rendre la mobilisation des enfants opérationnelle :
- La bifurcation dont la nécessité est évidente et l’idée de l’indépendance du système éducatif préconisée dans notre premier appel ne peuvent être imaginées avant 2027 .
- De 2023 à 2027 nous devons parvenir à faire envisager, explorer et planifier ces deux objectifs et les modalités d’une vaste « recherche-action » qui ne pourra, au mieux, démarrer qu’en 2028.
- Il faudra, au moins 10 ans pour que cette ambitieuse pédagogie du projet soit vraiment opérationnelle. Nous serons alors en 2038.
- Les effets bénéfiques de cette politique se seront déjà fait sentir en termes éducatifs mais la contribution aux efforts de la collectivité pour freiner le réchauffement et en combattre les effets ne sera pleinement opérationnelle que pendant les 12 ans précédant 2050.
Raymond Millot, 27 mars 2023
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Mars 2023
Mars 2023 : les propositions de bifurcations se multiplient
L’éditorial de février nous situait dans le courant des « bifurcations » qui se préparent à affronter l’avenir. En ce début mars :
Nouvelle bifurcation : Les Amis de la Terre , Agir pour l’Environnement, Greenpeace, et 5 associations appellent à leur tour à bifurquer. Elles estiment que ; « la possibilité d’une transition agroécologique ne peut se faire sans paysannes et paysans nombreux et nombreuses » et à cet effet qu’ il est « urgent de limiter la surface de terres agricoles qu’une même personne peut contrôler » . Elles proposent de « fixer un plafond à 300 hectares, afin d’assurer au plus grand nombre la liberté de s’installer et de cultiver la terre ».
Notre bifurcation doit aujourd’hui se préoccuper de l’état alarmant dans lequel nos enfants abordent les dangers qui les attendent. Le désespoir ( le nombre de dépression s’accroît significativement chez les 18/24 ans), la fuite (« les enfants passeraient jusqu’à trois heures par jour devant un écran, qu’ils s’agissent de télévision, de tablettes, d’ordinateurs ou encore de portables ») , la résignation ( pour beaucoup l’école, le collège sont des lieux inévitables dont l’intérêt principal est de retrouver les ami.es), l’aliénation à la société de consommation.
Nous proposons dans l’immédiat que,
- tous les enseignants du primaire et du collège conscients de cette situation donnent la priorité sur les programmes à des projets qui engagent les enfants dans des actions sur leur environnement et les décrivent et les justifient dans des écrits collectifs et individuels à l’intention des parents et des associations qui travaillent à la transition écologique. Cette étape est indispensable pour que l’idée de bifurcation pénètre l’opinion et soit partagée par les influenceurs (journalistes, intellectuels, organisations syndicales et politiques) . De telles actions sont déjà nombreuses et donnent aux enfants le sentiment qu’ils ne sont pas impuissants face à leurs peurs (même quand elles se situent sous le label officiel et contestable de «développement durable» )
Dès que la bifurcation sera engagée, localement ou nationalement :
- de fonder les apprentissages fondamentaux et les savoirs indispensables sur les actions entreprises et sur les collaborations avec les acteurs locaux de la transition écologique. Ces actions auront un statut de recherche-actions suivies, analysées systématiquement et mises en valeur par un Institut idoine.
Ces propositions concrétisent le premier des 4 objectifs de notre APPEL. qui préconise de « développer les qualités de résilience »
Raymond Millot, mars 2023
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Février 2023
Les bifurcations historiques
Sur France-Culture, dans un « billet d’humeur » Guillaume Erner ironise sur la 4ème blessure narcissique que nous subissons ces jours-ci maintenant que le robot Chat GPT a montré qu’il pouvait entretenir une conversation aussi bien que nous. Les trois précédentes ont été infligées par
- Copernic : la terre n’est pas le centre du monde
- Darwin : nous ne sommes que des animaux comme les autres
- Freud : nous ne sommes pas maîtres de notre esprit, nous habitons avec notre inconscient.
Curieusement il omet deux « blessures narcissiques » :
- l’une qui n’en finit pas de se refermer : l’égalité de la femme avec l’homme
- l’autre précède Chat GPT et l’Intelligence Artificielle et est révélée par le GIEC qui a annoncé au cours des années 1970, la fin du rêve de toute puissance de l’homme.
Ces étapes de l’histoire humaine ont produit et produisent des bifurcations socio-culturelles considérables qui mettent de moins en moins de temps à s’affirmer et dont les conséquences sont considérables.
Ainsi deux concepts refoulés ou récusés par la recherche de progrès matériel et la course au profit viennent bouleverser notre façon de penser :
- les animaux souffrent, pensent et même génèrent des civilisations complexes ce que désigne un mot nouveau « la sentience »…et nous constatons avec horreur les extinctions de masse que le « progrès » industriel a générées
- la Terre et le vivant sont des Biens communs. Découvertes que d’autres civilisations que celles engendrées en Europe avaient imaginées et parfois transformées en croyances parfois elles-mêmes mortifères…
La bifurcation de l’Education
Ces deux concepts alimentent le projet de bifurcation dans le domaine de l’Education :
Les enfants
- comme tout le vivant, doivent être traités comme des « sujets » qu’on doit respecter et non des « objets » à formater pour qu’ils soient utiles (à la famille, au pouvoir dominant etc. ) –
- leur éducation doit permettre le développement du potentiel de chacun d’eux, de leur conscience des « biens communs » à préserver, de l’extinction des espèces à enrayer, du réchauffement à contenir et de la coopération nécessaire pour y parvenir, des efforts nécessaires pour substituer le progrès qualitatif au progrès quantitatif mortifère. […] Lire la suite ici.
Les enseignants et éducateurs
- Les enseignants et éducateurs, très minoritaires, qui s’efforçaient déjà d’agir en ce sens, sous le terme générique « Education nouvelle », ont aujourd’hui l’occasion d’être compris et de devenir moteurs de cette « bifurcation ».
- Ils peuvent décrire les grandes lignes des objectifs qui, sur la base de l’expérience, leur semblent pouvoir être immédiatement mis en œuvre, ils peuvent décrire ce que pourrait engendrer l’extension de la pédagogie du projet à des projets locaux, collectifs, faisant face aux urgences et non plus aux objectifs des « programmes ».
Les collectivités
- Certaines expériences permettent même d’imaginer comme première étape, l’engagement d’un grand nombre de collectivités volontaires (unissant municipalités, établissements scolaires, associations de parents et d’éducation populaire) dans une recherche organisée nationalement qui ouvrirait la voie de cette transition et en ferait connaître l’intérêt aux hésitant.es et aux sceptiques…
- Ces considérations nullement utopiques réalistes auraient peut-être des chances d’être entendues dans les rares pays comme la Finlande où le système scolaire est très attentif au développement harmonieux des enfants aux conditions des apprentissages, à la formation des professionnels de l’éducation et de l’enseignement, pour peu que l’Etat Finnois ait pris la mesure de la mobilisation générale qu’exige l’avenir de nos sociétés…
Les « Conventions Citoyennes Pour l’Education C.C.E.
- En France la crispation du système d’enseignement public est tel qu’il faudrait multiplier les « Conventions Citoyennes Pour l’Education » pour qu’elles soient systématiquement examinées…et non vite oubliées. Il est symptomatique que la Convention Citoyenne sur le Climat qui a récemment eu lieu (C.C.C.) ait consacré de nombreuses réflexions à l’éducation et révélé que nos idées y seraient sans doute appréciées. Lire ici.
- En supposant que des conventions citoyennes préconisent ces changements majeurs, générateurs de citoyens et citoyennes réellement émancipés, on voit mal un pouvoir français acceptant de se dessaisir d’un outil qui lui permet de reproduire l’ordre établi (3). Il importe donc que le changement de paradigme s’intéresse particulièrement au domaine de l’éducation pour qu’on y forme des individus émancipés, capables de mettre en question l’ordre existant, quel qu’il soit, quand il met en danger la société comme c’est le cas de nos jours avec la course à la production et à la consommation qui entraîne la société vers le chaos climatique et politique.
- C’est précisément ce qu’ont exprimé les étudiants des grandes écoles avec leurs déclarations sur « la bifurcation » (solution collective) et à défaut, « la désertion » (solution individuelle).
- C’est ce qui conduit à « affirmer » comme notre appel de mars 2020 que :
« l’éducation est un bien commun qui en tant que tel, ne doit pas dépendre d’un quelconque pouvoir politique ou économique mais faire l’objet d’une construction collective évolutive élaborée démocratiquement ».
Mise en place d’une C.C.E.
Cette « construction collective » ne peut être envisagée avant d’être crédibilisée. A cet effet nous aurions besoin de compétences (de juristes, historiens ou philosophes) pour examiner le statut des organismes qui bénéficient d’une réelle indépendance et les crédits garantissant leur fonctionnement.
La CCE ne serait que partiellement composée de personnes tirées au sort mais aussi de partenaires permanents (associations , syndicats…)
- qui auraient à suivre, pour commencer, les enseignements tirés des recherches-actions entreprises
- mais aussi ajuster en permanence les objectifs en terme de savoirs à construire (en auto-socio-construction) mais de pratiques émancipatrices (collecte des pratiques et des effets à court et long terme…), de pratique favorisant les potentiels hors normes de toute nature, de créativité artistique etc.
Raymond Millot – 13 février 2023
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Janvier 2023
Pour une géopolitique de l’éducation
Bruno Latour (sociologue, anthropologue, théologien et philosophe des sciences français, décédé en octobre 2022) nous avait prévenus :
« Il n’y a plus de question politique qui ne soit géopolitique »
(« A condition qu’on entende le préfixe « géo » dans son sens étymologique : « terrestre » nous précise dans Le Monde 01 02 23 le philosophe Patrice Maniglier).
Le système dit « éducatif » actuel fait partie de « la question politique » dans la mesure où il entreprend de former les acteurs de la société productiviste.
La réflexion que nous entreprenons vise à en faire un facteur « géopolitique ». Former les acteurs d’une société faisant face aux problèmes « terrestres » dont nous commençons (enfin) à prendre conscience, dont nous découvrons chaque jour l’interdépendance, et qui obligent la société à changer de paradigme.
Changer de paradigme dans le système éducatif
Nos enfants vont être contraints de devenir les acteurs d’une société de la sobriété où le qualitatif peut, et devrait, remplacer le quantitatif.
C’est ce qu’ont exprimé d’une certaine manière tous les étudiants des grandes écoles qui ont appelé à « bifurquer ». Ils ont les connaissances qui les rendent pleinement conscients de l’inévitabilité du changement de paradigme.
La prise de conscience du sens du travail actuel
Les travailleur•e•s manifestent massivement pour leurs retraites, occasion pour beaucoup de s’interroger sur le sens du travail qu’ils accomplissent, sur la nature et l’usage de ce qu’ils produisent, sur le processus de production et les rapports sociaux qui y règnent. Ils posent plus ou moins explicitement la question du qualitatif, notamment quand ils découvrent que ce qu’ils produisent est à l’origine des problèmes climatiques. La conscience du changement de paradigme se construit lentement.
Donner du sens au travail des enfants, des jeunes, par leur engagement dans des projets
Notre appel ci-dessous « C’est tout le système éducatif qui doit bifurquer » aborde les mêmes questions. Les projets grands et petits dans lesquels nous proposons d’engager les enfants donnent du sens aux efforts qu’on leur demande. Au cours de ces projets, le processus de réalisation (travail en petites équipes hétérogènes d’âges, de sexe, de compétences) et les rapports sociaux ( la coopération, la construction des règles, le respect des différences) en rupture avec la compétition, la notation, la sélection constituent un véritable changement de paradigme que devra compléter le choix de connaissances à acquérir pour opérer le passage du quantitatif au qualitatif.
Une émancipation généralisée
Au-delà de ces quelques similitudes, une même aspiration à ne pas être considérés comme des objets mais comme des sujets concerne les travailleurs•e•, les enfants, les femmes, condition première du processus émancipateur…
La géopolitique conduit à étendre cette aspiration à tout le vivant, animaux, plantes, etc.
Raymond Millot janvier 2023