Introduction
2022-2023 : le nouvel appel « Bifurquer ! »- « C’est tout le système éducatif qui doit bifurquer ».
Voir le texte de l’appel et la liste des premiers signataires ici.
Des contributions sont attendues.
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Appel de 2020 : les contributions
Plusieurs d’entre vous ont signé l’appel de 2020 en affirmant son importance. Quelques mots simples ont suffi. Il faudrait les faire entendre par les millions de parents que l’avenir de leurs enfants effraie.
Il est certain qu’une Convention Citoyenne pour l’Education aurait à cet effet un rôle décisif. Une CCE n’est pas à l’ordre du jour mais les multiples associations et collectifs qui se préoccupent du « JOUR D’APRES » pourraient s’emparer du sujet. C’est rarement le cas mais on constate que l’hypothèse EDUCATION, BIEN COMMUN commence à être évoquée.
Ce travail a été commencé, individuellement, à l’intention de débats qui ont lieu au Conseil National de la Nouvelle Résistance.
Il s’agit donc aujourd’hui d’effectuer un travail collectif, de préciser en particulier « les concepts qui semblent proposer une rupture dans les pratiques éducatives et qui contribuent à la réalisation des 3 objectifs cités dans l’appel :
- développer les capacités de résilience
- permettre au potentiel d’intelligence et de créativité de chaque enfant de s’exprimer
- favoriser les démarches émancipatrices et solidaires
La liste des concepts est ouverte : : Bien Commun – promotion collective – émancipation- développement de tous les potentiels individuels – outil de la démocratie participative, la citoyenneté (expression orale et écrite) – transmission/construction du savoir – coéducation/société éducatrice apprentissages fonctionnels/programmes – transdisciplinarité/ pédagogie du projet /chef-d’œuvre pédagogique…
SUGGESTION : les contributions peuvent être constituées de deux parties 1/ considérations concernant le concept évoqué 2/ la contribution susceptible d’être proposée dans un débat.
Un plan de travail s’avère nécessaire …Dans un premier temps chacun chacune peut proposer une définition en quelques lignes de tel ou tel concept, susceptible d’être utilisée dans un débat « jour d’après ». R. Millot.
Douzième contribution
Le 4 novembre 2021, les Editions Massot publient la brochure : « L’Education un bien commun ». Lire en page d’accueil.

A la fin, il est proposé : « d’imaginer les contours d’un Institut de l’Education et de l’Emancipation (IDEE) où les enseignants n’auraient qu’un pouvoir partagé avec des scientifiques des sociologues, des psychologues, des médecins, des représentants de parents, soucieux de faire de l’éducation l’affaire de tous ». Le changement de paradigme en cours nous invite à travailler des utopies réalistes comme la préservation des biens communs. L’éducation, en tant que telle, pour échapper à son rôle de reproduction sociale (cf. Bourdieu), doit bénéficier de l’indépendance du pouvoir politique (être inscrite à ce titre dans la Constitution ?) Il s’agit d’un impératif qui joue déjà partiellement pour l’Université, la Justice, et divers organismes régulateurs. Impératif dont la gestion démocratique pourrait faire appel à divers dispositifs comme les Conventions Citoyennes…
La complexité du problème est indéniable et suppose le recours à des compétences de haut niveau, notamment de celles et ceux qui travaillent sur le thème des Biens communs.
L’IDEE, en tant qu’utopie réaliste, permet aux pédagogues politiquement conscients d’envisager les sujets dont elle aura à débattre ».
Ainsi :
L’émancipation comme facteur déterminant de l’éducation
L’émancipation selon le Robert : « Action d’affranchir ou de s’affranchir d’une autorité, de servitudes ou de préjugés ». Selon Marx : « L’émancipation humaine est la suppression pratique de l’aliénation, non de telle ou telle aliénation, mais de toutes les aliénations. C’est à cette seule condition qu’elle peut être l’émancipation universellement humaine » et encore : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
On peut se réjouir de l’émancipation des femmes qui est bien l’œuvre des femmes elles-mêmes !
L’émancipation des enfants ne pourra se faire qu’avec leur participation !
A l’école, le mode de transmission programmée est d’une efficacité douteuse
Il faut d’abord récuser ce qui semble encore évident de nos jours. Les défenseurs sincères de « l’école de la République » considèrent encore, comme Jules Ferry, que l’émancipation découle de l’éducation, et que l’éducation est le fruit de la transmission des savoirs. Ce dont on a des raisons de douter. Ainsi, lors de l’émission « Les Rendez- vous de la presse étrangère » sur France culture du 29 janvier 2022, portant sur la « Mémoire de la Shoah, l’antisémitisme aujourd’hui », les trois journalistes de trois pays européens, invitées de Catherine Broué, constatent un retour universel de l’antisémitisme. Catherine Broué signale : « Deux études conjointes, l’une mondiale, l’autre en France, publiaient cette semaine une enquête montrant une inquiétante montée de l’antisémitisme dans le monde avec près de 50% d’actes antisémites commis sur le sol européen, et sa persistance sur le sol français… Comment aborde-t-on cette question du devoir de mémoire chez nos voisins ? »
Et déjà à l’école. Que ce soit en Allemagne, Italie ou en France, la Shoah est étudiée et l’on propose même la lecture de livres et des films. Caroline Broué indique à ses consœurs que la Shoah est en France étudiée 3 fois au cours de la scolarité (au CM2, en 3ème et en terminale). Elle invite implicitement les auditeurs à méditer sur l’efficacité douteuse de ce mode de transmission programmée. Les intentions sont là, mais la disponibilité du public élèves est en grande partie déficitaire. Ce qui est vrai pour l’Histoire l’est aussi pour d’autres disciplines.
Comprendre les raisons de l’indisponibilité des élèves
Pour comprendre les raisons de cette indisponibilité, on peut s’interroger sur le travail qui est demandé aux enfants en tant qu’« élèves », et l’intégrer dans un phénomène engendré par la révolution industrielle : la dénaturation du travail en emploi, la « prolétarisation » des travailleurs.
- Le paysan qui cultivait son lopin de terre, planifiait son travail, acceptait les tâches dures et répétitives dont il savait la nécessité. La récolte lui apportait fierté et satisfaction. Contraint d’aller à l’usine, le travailleur se transforme en prolétaire : Taylor considérait qu’il doit « laisser son intelligence au vestiaire ». Son statut de consommateur lui infligeait une aliénation supplémentaire qui atteint aujourd’hui une dimension redoutable.
- L’enfant, à l’école maternelle, continue et enrichit sa vie d’enfant, se construit lui-même en bénéficiant des échanges sociaux organisés par les adultes. Processus d’auto–socio-construction au cours duquel il produit des efforts considérables pour grandir, apprendre. On lui reconnaît un statut de travailleur. Le processus est en grande partie interrompu quand il entre à l’école primaire. Il y apprend la discipline, les sanctions, il y subit des leçons découlant de programmes, de progressions, d’évaluations établies par des ingénieurs de l’entreprise prétendument Education Nationale. Le système de sélection lui apporte soit de la fierté, soit de l’humiliation, soit de la résignation soit de la révolte. Il se construisait, on entreprend de le formater. On lui impose le statut de prolétaire. Les enseignants qui déplorent ce changement de statut s’efforcent d’y remédier. Ils pratiquent, quand ils le peuvent, la « pédagogie du projet » ou celle du « chef-d’œuvre pédagogique ». Pédagogies qui impliquent les acteurs, leur permettent de comprendre la nécessité d’acquérir savoirs et savoirs-faire, donnent la satisfaction de l’œuvre réalisée, procurent estime de soi et des autres. L’enfant quitte le statut d’élève prolétaire et retrouve ainsi celui de « travailleur », et même de citoyen dans le cadre de la vie démocratique qui va de pair avec cette pédagogie.
- Les enseignants peuvent être eux-mêmes soumis à cette grille d’analyse. Ils ont subi avec succès les procédures (contestables) de sélection, maîtrisent un savoir qu’ils ont choisi (dans le meilleur des cas) et qu’ils ont envie et mission de transmettre. Ils rêvent d’un statut d’artisan. Le système les prolétarise en leur dictant programmes, progressions, évaluations, en fragmentant les horaires, et dans le secondaire, en rendant difficile de connaître réellement les enfants, les jeunes et d’établir les liens affectifs, de veiller aux harcèlements, d’envisager un projet émancipateur. Une relative « liberté pédagogique » leur fait croire qu’ils échappent, en partie, à cette prolétarisation et ne les dispose pas favorablement au travail en équipe qu’on sait acteur d’une émancipation personnelle et collective.
L’ensemble de ces considérations critiques conduit à voir l’émancipation des enfants non plus comme le fruit d’une longue éducation fondée sur la transmission mais comme un processus permanent commençant dès la petite enfance. Les familles qui s’interrogent et sont maintenant nombreuses, l’ont compris. Elles « déconstruisent » spontanément l’évidence de l’autorité et de la transmission et permettent intuitivement le processus d’auto-socio-construction.
Quels outils, quelles mises en oeuvre ?
Dès la maternelle, la méthode scientifique et la pratique de la démocratie participative
Les professionnels doivent sortir de l’intuition et du tâtonnement pédagogique et résolument accorder à l’émancipation la place prioritaire qu’elle mérite.
Première piste toute simple et n’exigeant qu’une compétence pédagogique : mettre en œuvre, à tous les moments de la vie collective des enfants, dès l’âge de la maternelle, la méthode scientifique et la pratique de la démocratie participative. A chaque occasion, amener les enfants à considérer le problème, voire le nommer, organiser les échanges selon des procédés permettant à chacun.e de s’exprimer librement en petits groupes sur une question précise, en grand groupe pour la mise en commun, constater les contradictions, envisager les actions possibles, admettre qu’elles sont mises à l’essai et destinées à être critiquées. Freinet a imaginé dans cet esprit le « conseil de coopérative », mais cette pratique risque d’être formelle, si elle est inscrite dans l’emploi du temps, si elle est destinée à rendre moins pénible le travail aliéné, avec ses progressions, son organisation en classes d’âge, ses évaluations au service de la sélection.
Un travail de recherche-action devrait permettre de creuser l’hypothèse d’une émancipation non plus produit des apprentissages mais outil des apprentissages.
Penser pour apprendre et non plus apprendre pour penser.
La deuxième piste peut en effet se traduire par une formulation concentrée : penser pour apprendre et non plus apprendre pour penser. Renversement de paradigme.
Et pour revenir à la question soulevée dans l’émission de France Culture par Caroline Broué, c’est quand les enfants auront constaté dès la maternelle l’inanité du racisme qu’ils auront en temps voulu la « disponibilité » nécessaire pour examiner activement des faits historiques comme la Shoah, l’esclavage… et par extension la prolétarisation, la logique du système capitaliste. Devenus adultes, ils auront l’état d’esprit nécessaire pour observer les aliénations nombreuses, résultant « d’une autorité, de servitudes ou de préjugés » et de « s’en affranchir » ainsi de s’en émanciper comme le définissent Marx et Le Robert.
Emancipation et accès aux savoirs
L’accent mis sur le rôle décisif de l’émancipation dans l’éducation ne doit pas minorer l’importance des savoirs à acquérir. L’émancipation y a là aussi un rôle.
Il s’agit préalablement d’examiner d’une manière critique et réaliste, la tradition qui persiste en ce domaine, la situation socioéconomique telle que nous la vivons en 2022, mais aussi le fruit des recherches passées et les perspectives que nous imaginons.
Les fondamentaux : Historique et constat actuel
En 1882 quand Jules Ferry a institué l’école obligatoire et fixé à six ans l’objectif d’apprentissage de la lecture, l’espérance de vie était de 45 ans. En 2022 elle est de 80 ans. S’il est vrai que la pandémie a été dommageable pour les enfants, considérer comme un drame le fait qu’ils aient pratiquement perdu une année d’étude est une manière d’entretenir la peur.
En 1882 les enfants des classes privilégiées bénéficiaient comme aujourd’hui d’un certain confort social et culturel et pouvaient bénéficier d’un enseignement ambitieux et de longue durée au lycée. La scolarité des enfants des classes populaires ne durait que 5 à 6 ans, avec pour horizon le certificat d’étude. L’objectif « savoir lire » à 7 ans était de ce fait un impératif déterminant ce qui explique que moins de la moitié des élèves se présentaient au « certif ». La grande majorité se trouvait au travail à 14 ans et souvent avant. En 2022, rares sont les enfants qui travaillent à 16 ans. La grande majorité d’entre eux restent dans le système scolaire jusqu’à 18 ans, et ils ne peuvent guère espérer un CDI avant 24 ans.
Rapprochons ces faits historiques de l’école de Blanquer où l’on évalue les pré-requis (?) en lecture à l’école maternelle !
Le ministre agit-il sincèrement, sous l’influence de spécialistes tout-puissants du cerveau ou trouve-t- il un intérêt politique à créer un sentiment d’urgence, à souligner la férocité de la compétition pour avoir un emploi de qualité, à entretenir la peur et le conformisme ?
L’importance de la lecture est telle qu’il n’est pas raisonnable de travailler dans l’urgence, comme en 1882, de fixer des dates de progression et d’évaluation au détriment de la qualité de cet apprentissage.
L’apprentissage de la parole est tout aussi important et objectivement tout aussi difficile mais personne ne doute de sa réussite. Certains enfants parlent très tôt. Certains restent muets d’une manière inquiétante et se mettent subitement à parler comme un adulte. Les enfants apprennent à parler mus par le désir puissant de s’insérer dans la collectivité familiale. Le cheminement de cet apprentissage peut être favorisé par des dialogues fréquents ou par une vie collective de qualité, en crèche ou au début de la maternelle (ou défavorisé par une vie affective malheureuse). Mais pratiquement tous apprennent à parler.
Les parents attentifs constatent tout naturellement que leurs enfants reconnaissent divers mots écrits présents dans la rue, sur les enseignes, en relief sur des panneaux publicitaires, dans le titre d’un journal ou d’une émission télé, dans le titre des livres appréciés, ou même dans la phrase accompagnant un dessin souvent regardé. Ils ne s’étonnent pas de cette attitude qui s’apparente à la démarche qu’ils ont pu observer concernant la parole… jusqu’à ce qu’on les invite à prendre position sur « la méthode » de lecture.
Aborder les « fondamentaux » dans une perspective émancipatrice
La lecture fait partie des fameux « fondamentaux ». A juste titre. L’aborder dans une perspective émancipatrice signifie que comme pour la parole, on y entre par le sens et non par un mécanisme d’oralisation enseigné préalablement.
L’association française pour la lecture (AFL) a défendu cette idée pendant 50 ans : rassembler – sans attendre – autour de l’écrit, les conditions qui ont permis à la totalité des nourrissons de s’approprier leur langue maternelle. Le jeune enfant n’a maitrisé le langage oral que parce qu’il a été impliqué dans la vie d’un groupe désireux de vivre avec lui.
De la même façon, l’école devrait avoir une double fonction :
- impliquer les enfants dans leur environnement parmi les lecteurs qui lisent
- et les faire bénéficier de l’étayage technique, coopératif, affectif, productif, culturel nécessaire pour y parvenir.
L’AFL a initié les Bibliothèques Centres Documentaires (BCD), mis au point des logiciels performants. A contre- courant… comme l’a été la « pédagogie Freinet », parce que contraire au formatage scolaire et à une tradition parée de justifications prétendument scientifiques.
Donc oui, Lire, Ecrire en en ayant besoin, en en comprenant l’intérêt, en en tirant du plaisir et du savoir ; apprendre l’usage de ces outils majeurs d’une manière fonctionnelle, dans des groupes d’âges hétérogènes, pour que se pratique l’auto-socio-construction, au rythme de chaque enfant, en se dispensant d’instructions officielles.
Compter. Non plus comme en 1882 mais en faisant des mathématiques. De nombreux travaux et recherches existent et restent en friche. Des mathématiciens se sont efforcés dans les années 60 de se faire entendre comme Zoltàn Paul Dienes qui a fait des démonstrations stupéfiantes montrant la capacité des enfants à entrer dans l’abstraction comme dans un jeu. Des matériels, trop peu utilisés, permettent de comprendre, en manipulant et comme un jeu, les bases de la numération et du calcul numérique, le fonctionnement et l’usage des machines.
Les mathématiciens souhaitant créer de l’attrait pour leur discipline devraient de nouveau remettre en question l’enseignement de leur discipline… comme le font les scientifiques avec « la main à la pâte ».
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Ces fameux fondamentaux ne sont ici que mentionnés. Les mouvements pédagogiques, la recherche, les expériences françaises et étrangères qui sont en phase avec la perspective émancipatrice auront matière à développer le cas échéant.
Raymond Millot et Albert Sousbie
Onzième contribution
Du neuf dans l’art de faire apprendre
L’apprenant pédagogue
La pédagogie du chef-d’œuvre, je l’ai initiée en 1978 en tant qu’inspecteur belge de l’enseignement. Je l’ai ensuite appliquée à l’école publique de Buzet- Floreffe en 1992. Jean-François Manil et Léonard Guillaume, tous deux docteurs en sciences de l’Education et instituteurs, l’ont reprise, théorisée et améliorée, enfin racontée dans un livre collectif : « Du chef-d’œuvre pédagogique à la pédagogie du chef-d’œuvre ». Ed. Chronique Sociale.
Il s’agit bien d’un nouveau courant émancipateur où l’on apprend seul puis en groupe dans la perspective non pas d’être interrogé arbitrairement et de gagner ainsi des points pour soi, mais dans l’intention manifeste de faire apprendre amicalement aux autres ce que l’on vient de comprendre..
Il s’agit là du cœur de la pédagogie du chef-d’œuvre : en faisant apprendre, on apprend soi-même deux fois tout en posant un acte citoyen désintéressé fait de créativité et de solidarité sous le regard vigilant et bienveillant du maître d’apprentissage.
Cette approche, qui emprunte pour se construire des avancées de l’Education Nouvelle (dont la project method de John Dewey et l’apport consécutif de Célestin Freinet), tranche avec l’enseignement mutuel en vigueur au XIXème siècle où, dans des classes très populeuses mélangeant des enfants de 6 à 12 ans, le maître allégeait sa tâche en confiant aux aînés le soin de passer du savoir élémentaire aux plus jeunes ; c’était de la transmission pure et simple d’une qualité souvent médiocre vu l’âge des jeunes instructeurs. Dans ce cas, aucune place à la construction du savoir par l’apprenant, aucun travail de groupe, pas de formulation d’hypothèses hardies donc de créativité bref, de la réception aléatoire.
Dans la pédagogie du chef-d’œuvre, en revanche, l’élève moniteur a lui-même élaboré de façon créative et solidaire avec le maître, le savoir à faire apprendre et ceci de telle manière qu’il va mettre à son tour, son/ses condisciples en recherche, se gardant de trop expliquer sous peine de dispenser ses jeunes disciples de réfléchir. Ainsi, habitué pendant des années à apprendre pour faire apprendre, l’étudiant sera-t-il en mesure de présenter durant plusieurs heures son chef-d’œuvre pédagogique multidisciplinaire, apothéose du partage des connaissances en interaction vivante indemne de compétition, de notes. Ce nouveau paradigme s’inscrit dans une philosophie de l’éducation faite de liberté, de confiance, de non violence, d’invention et de fraternité afin de forger un monde plus humain dès l’enfance, fortement.
Si une pandémie fermait les classes, des élèves se concerteraient pour préparer, via l’Internet, des retrouvailles instructives et partagées.
Une nouvelle émulation
Quand on était élève des Pères Jésuites, on apprenait la compétition en appartenant soit au camp des Romains, soit à celui de leurs ennemis les Carthaginois. Après une épreuve écrite difficile, la classe était partagée en deux camps opposés hiérarchisés en raison des résultats obtenus : d’un côté les numéros pairs du classement (Rome), de l’autre les impairs (Carthage). Chacun avait son émule ; ainsi le Romain ayant obtenu 15/20 luttait désormais avec un suppôt d’Hannibal ayant fait le même score. Donc les forts s’affrontaient entre eux et les faibles aussi. Lors de l’épreuve générale suivante, le Bon Père déclarait vainqueur le camp ayant remporté le plus de combats singuliers… et chacun découvrait un nouvel émule à sa taille. On mesure le fossé qui sépare cette pratique héritée d’Ignace de Loyola et la pédagogie du chef-d’œuvre. Dans celle-ci, ce qui stimule l’étude, ce n’est plus de surpasser l’autre mais de tout mettre en œuvre pour le faire réussir à apprendre en profondeur.
Terrains de jeu
L’objet d’étude peut être assigné par le professeur ou bien être choisi par les étudiants dans des points du programme. Ainsi, les A apprendront le système auditif pour le faire apprendre aux B occupés eux, à comprendre le fonctionnement de l’œil pour partager ce savoir. Chez les plus jeunes, ce sera par exemple faire apprendre les tables de multiplication rien qu’avec des ciseaux et du papier quadrillé sans d’abord écrire de chiffres ou bien apprendre toutes les façons de dessiner les arbres (ou les maisons, les bovins…) à partir de livres illustrés. Il est donc proposé, dans la pédagogie du chef-d’œuvre, de créer les conditions d’émergence de la fraternité dans les apprentissages. J’ose même dire qu’il s’agit d’IMPOSER la coopération grâce à un dispositif didactique contraignant et libérateur à la fois.
Un souffle nouveau
Alors que quelques professeurs gardent intacte la flamme de leur engagement professionnel premier toute leur carrière, bien d’autres s’essoufflent, laissent tomber les bras. Adopter la pédagogie du chef-d’œuvre pourrait rallumer leur enthousiasme tant ses effets sont gratifiants.
Bref, organiser méthodiquement la fraternité en vue d’un monde plus vivable, ne voilà-t-il pas du neuf exaltant dans l’art de faire apprendre ?
Charles Pépinster, pédagogue belge
membre du GBEN (Groupe Belge de l’Education Nouvelle)
Dixième contribution
ÉDUCATION ÉMANCIPATRICE : L’ESPOIR DEVIENT NÉCESSITÉ !
Le projet d’une éducation émancipatrice s’est développé au 19ème siècle associé, aux luttes d’un prolétariat durement exploité et aux idées révolutionnaires. Le capitalisme apparaissait comme un système condamné historiquement et qui devrait faire place, dans un avenir proche, à une société socialiste.
1871, la Commune de Paris est écrasée et les tenants d’une éducation émancipatrice sont fusillés, envoyés au bagne ou en Nouvelle Calédonie, comme Louise Michel. En revanche, le conditionnement éducatif est organisé et généralisé, avec succès, par Jules Ferry en 1881. Il dure encore. Il ne s’agit plus aujourd’hui de formater de jeunes patriotes pour « la revanche » sur les Prussiens, mais de préparer à l’ « emploi », dans une société de plus en plus dure et prétendument sans alternative.
1871, 1917, 1936,1945, 1968… un projet éducatif a accompagné ces évènements, tous inspirés par l’idée d’une société, plus fraternelle, plus libre, plus égalitaire.
Si l’idée reste toujours fondée, sa réalisation ne nous semble plus garantie par la marche de l’Histoire. De plus, elle doit aujourd’hui composer avec des faits que l’on n’était alors pas en mesure d’envisager : les conséquences dramatiques des activités humaines que la révolution industrielle a développées d’une manière exponentielle.
Le réchauffement climatique que la COP 21 a fait connaître et reconnaître par toutes les nations change précisément cette marche de l’Histoire, au point de mettre en péril l’existence même de l’humanité. Les alertes de plus en plus fréquentes des scientifiques devraient empêcher d’oublier le danger et la nécessité d’y faire face.
L’information atteint le grand public mais celui-ci doit avant tout faire face au quotidien, vivre au jour le jour. Le personnel politique qui a les moyens, matériels et culturels, d’en mesurer la gravité est partagé entre trois attitudes : nier les faits, différer les décisions, ou déclarer l’urgence d’une transition écologique… souvent en se laissant mobiliser par les problèmes d’actualité.
Ainsi, tout le monde ou presque, pratique la « dissonance cognitive ». On sait mais on fait tout comme si l’on ne savait pas. Et les activités humaines se poursuivent en ignorant la ligne d’horizon tragique que dessinent la croissance démographique, l’agriculture industrielle et la pollution, l’extinction des espèces et les nombreuses conséquences du réchauffement.
Les intellectuels et des militants doivent en revanche intégrer dans leurs analyses et stratégies l’inéluctabilité de ce changement de paradigme. Adopter une attitude offensive et constructive : lancer l’alerte et faire des propositions. Et pour ce qui concerne l’éducation, s’interroger : de quels outils intellectuels et matériels les enfants actuellement à l’école, vont-ils avoir besoin devant les catastrophes annoncées ?
Ce questionnement devrait rendre dérisoires les querelles actuelles et plus encore la nostalgie d’un passé mythique. Y compris les problèmes d’accès à l’université. Il devrait conduire à imaginer des propositions.
En 1945 les forces progressistes ont impulsé le plan Langevin Wallon. L’idée de plan est aujourd’hui contestable par sa « verticalité ». En revanche, il est possible de promouvoir l’idée d’une « recherche-action » ambitieuse, s’efforçant d’explorer les réponses imaginables.
Les propositions qui suivent, les unes exprimées dans un manifeste, fruits d’une réflexion théorique, les autres dans un appel, issu de pratiques alternatives portées par des réalisations émancipatrices (écoles ouvertes de tout un quartier, gestion d’une ville de banlieue), convergent et ouvrent des pistes en ce sens.
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Les auteurs du « MANIFESTE POUR UNE EDUCATION A LA CITOYENNETE PLANETAIRE » (1) publié en 2015, à l’occasion de la COP 21, font ce constat : « depuis vingt ans, les responsables des conférences climatiques considèrent l’éducation comme ‘hors sujet’ ». Dans ces milieux, comme en France, on est très loin d’estimer que l’éducation « devrait constituer un levier fondamental du changement ».
La même conviction est exprimée dans l’appel titré «LA TRANSITION ECOLOGIQUE DOIT MOBILISER LE SYSTEME EDUCATIF »(2) diffusé en octobre 2017 : « La transition écologique devrait porter le projet d’un système éducatif qui n’occulte pas les problèmes, qui prépare les futurs citoyens à y faire face d’une manière lucide et active, qui oriente leur dynamisme vers les réalisations et les recherches d’alternatives… », « Cette préoccupation se heurte à une tradition de programmes, de progressions, d’examens, à une formation des enseignants qui, quand elle existe, les enferme dans leur spécialité. Les difficultés que rencontre le modeste projet de travail interdisciplinaire en témoignent. Cette étude des phénomènes qui menacent l’humanité exigeraient au contraire son renforcement, sa généralisation…Les adultes de demain ont en effet besoin d’une pensée qui aborde tout problème comme un ensemble d’éléments en relations mutuelles, d’une pensée « systémique » qui peut et doit s’exercer dès l’école maternelle ».
Dans le MANIFESTE, Edgar Morin est cité. Il précise :«…nécessité d’une pensée apte à relever le défi de la complexité du réel, c’est-à-dire de saisir les liaisons, interactions et implications mutuelles » et il précise : « Notre école doit devenir une école de la construction de l’identité planétaire et des valeurs de solidarité et d’équité universelles. Elle doit devenir une école de la compréhension des grands enjeux sociaux, économiques et environnementaux, en même temps qu’une école de l’engagement local, de la participation et de la renaissance de la démocratie authentique. Une école de la transformation des relations sociales, du dialogue interculturel et de la valorisation des différences ».
« Ceci implique une approche systémique, véritable révolution dans la manière de penser le monde et de se penser dans le monde. Il faut apprendre à relier les éléments entre eux, montrer à quel point l’être humain est inscrit dans un ensemble et à quel point, chaque fois qu’il agit sur un des éléments, cela retentit sur la totalité. Il s’agit de permet aux individus de comprendre comment fonctionne le vaste monde dans lequel ils se trouvent; il s’agit de leur montrer comment, de fait et quoi qu’ils en pensent, ils disposent d’un pouvoir bien réel d’agir sur le monde et cela, tant au niveau local qu’au niveau national ou planétaire ».
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La contrainte écologique offre ainsi de nouvelles perspectives au projet, plus que centenaire, d’une éducation émancipatrice et donne l’occasion d’adopter une attitude offensive parfaitement justifiée, face à la vague conservatrice et réactionnaire.
(1) Le Manifeste constitue un livre collectif et porte le titre POUR VIVRE ENSEMBLE A 10 MILLIARDS, CHANGEONS L’EDUCATION On peut le lire à l’adresse Paris-education2015-manifeste.pdf
(2)l’appel titré LA TRANSITION ECOLOGIQUE DOIT MOBILISER LE SYSTEME EDUCATIF, est reproduit ci-après.
Raymond Millot
Neuvième contribution
Un projet émancipateur face aux dangers de l’anthropocène
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »
Antonio Gramsci
Dans ce clair-obscur, une multitude d’associations, d’ONG, de mouvements affrontent tel ou tel monstre, de l’extinction des espèces au nucléaire, du CO2 à la déforestation, inventent telle ou telle solution, du solaire à la permaculture, et travaillent au « changement de paradigme » qui s’impose. Les actions sont nombreuses, audacieuses ou modestes, mais dispersées. Les citoyens qui s’y impliquent n’ont pas nécessairement conscience de vivre dans une nouvelle ère géologique, « l’anthropocène », du fait des activités humaines.
Il importerait qu’ils s’efforcent de nommer leurs dénominateurs communs afin d’en faire une force capable de traduction « verticale », politique. La « transition écologique » en est un, mais qu’il s’agirait de préciser, pour éviter son emploi par ceux qui entendent que rien ne change.
Le nouveau monde n’est pas celui qu’imaginait Gramsci. C’est celui du réchauffement climatique, de l’extinction des espèces, de la démographie galopante, dont certains subissent déjà des effets effrayants.
Les scientifiques qui en étudient l’évolution ont longtemps évité de noircir le tableau, sachant que le catastrophisme engendre le négationnisme (cf. Trump). Le 13 novembre 2017, la situation apparaît si dramatique que 15 000 d’entre eux lancent un cri d’alarme proprement effrayant :« Il sera bientôt trop tard ! » : quantité d’eau potable disponible per capita de 26%, 120 millions d’ha de forêts convertis en terres agricoles, population mondiale croissance de 25% en 25 ans, extinction des espèces 29%, etc.
Il importe donc de se mobiliser, de conjuguer les efforts, de changer fondamentalement de paradigme dans tous les domaines de la vie sociale…
Curieusement, le monde de l’éducation ne semble pas concerné.
La société se clive, les écoles privées (très majoritairement catholiques) scolarisent près de 20% des enfants et l’école publique se tourne résolument vers un passé mythique.
Alors que l’idée même « d’Éducation » Nationale est abandonnée en faveur du « lire, écrire, compter », les mouvements pédagogiques et d’éducation Populaire qui avaient élaboré en 2010 un programme commun (Appel de Bobigny ) se replient frileusement sur leur pré carré.
La transition écologique qu’il s’agit d’entreprendre, et plus globalement l’avenir très sombre qui attend nos enfants impliquent que l’on développe, dès aujourd’hui, la capacité de penser et d’agir en s’affranchissant des idées reçues, en agissant solidairement, en récusant toutes formes de violence tout en dénonçant les sources d’aliénation. Ce que le mouvement ouvrier nommait émancipation, doit devenir le dénominateur commun des militants pédagogiques… commun à l’ensemble des militants politiques qui s’y engagent.
Ce dont nous devons prendre conscience, c’est que cet objectif ne s’inscrit plus dans l’espoir d’un progrès continu, engendrant « les lendemains qui chantent » ou « les jours heureux », qu’imaginait le Conseil National de la Résistance. Ce qui est en jeu de nos jours, c’est la survie de l’humanité (et de nombreuses espèces vivantes) c’est la marche vers une sobriété radicale.
L’idée de progrès s’accommodait du temps long, s’étalait sur des dizaines de siècles. Les réalités de l’anthropocène exigent que des mesures draconiennes soient prises dans les décennies qui viennent.
Malheureusement, la nature humaine face à l’urgence, pousse à différer, à « procrastiner ». Elle pratique la « dissonance cognitive » : on connaît le danger, mais on ne veut pas y penser.
Face à cette réalité suicidaire, le projet émancipateur commande aujourd’hui de cultiver « le pessimisme de la raison, l’optimisme de la volonté ».
Les militants pédagogiques doivent, dans l’esprit de Gramsci, passer à l’offensive, dénoncer l’archaïsme de nos gouvernants, s’adresser au grand public pour que ce projet soit partagé, pour que les initiatives audacieuses dans lesquelles ils s’engagent soient comprises et défendues.
Le cas des enfants japonais permet de poser le problème très concrètement.
Les petits japonais apprennent très normalement à faire face aux secousses sismiques. Ils en étudient les données géologiques, géographiques, urbanistiques et se forment au secourisme. Ils acquièrent ainsi une résilience indispensable.
– Pourquoi les enfants de Fukushima ne peuvent-ils étudier de la même manière, les données scientifiques, économiques, médicales, écologiques, de la catastrophe nucléaire dont ils sont les victimes ?
– Parce que le système éducatif est régi, non par une constitution en décrivant ses objectifs émancipateurs, mais par des gouvernements qui ne peuvent tolérer que soient mis en question leurs choix politiques, voire leurs falsifications criminelles (ainsi : le taux de radioactivité tolérable a été fortement augmenté pour que les réfugiés soient obligés de retourner chez eux en dépit du danger !).
Le système éducatif dont nous avons besoin doit permettre d’examiner objectivement une situation vécue, ses causes, les illusions, les erreurs, les mensonges, la démagogie qui la caractérisent. Son ouverture sur les réalités, doit préparer les futurs citoyens à y faire face d’une manière lucide et active, tout en ayant le souci d’orienter leur dynamisme vers les réalisations et les recherches d’alternatives.
Leurs parents, depuis la COP 21 jusqu’à l’appel des 15 000 scientifiques sont aujourd’hui en situation de comprendre les multiples interactions qui contribuent à l’équilibre du climat, la complexité des systèmes, la fragilité des équilibres. Il sera aisé de les convaincre que l’école doit développer la pensée systémique, indispensable pour comprendre les évènements à venir et pour y remédier.
Les conditions et les impératifs sont donc réunis pour lancer de manière offensive, voire subversive, toutes les initiatives allant dans ce sens, oser une pédagogie du projet audacieuse, entreprendre ces projets interdisciplinaires qui développent la pensée systémique, mettre au point l’évaluation sur le modèle du « chef-d’œuvre pédagogique » pratiqué en Belgique. Utiliser les nouveaux moyens de diffusion et de débats pour dénoncer l’archaïsme du système actuel, pour montrer que les enfants rendus acteurs face à un monde dangereux construisent la résilience qui leur sera indispensable.
Les militants pédagogiques qui ont depuis longtemps pratiqué la « pédagogie du projet » doivent être les artisans de ce changement de pensée. Ils doivent réfléchir à ce qu’il implique politiquement : un système éducatif indépendant des gouvernements et des alternances (la dépendance actuelle, caricaturale, milite objectivement pour cette conception !).
R.M
Huitième contribution
Vers une école écologique, sociale, solidaire, émancipatrice
Par Pierre Prim, Professeur d’Eps à Béziers. Formateur
Préambule
Les crises climatiques, économiques et sanitaires que nous vivons et qui se succèdent avec de plus en plus d’ampleur nous rappellent combien il est nécessaire de repenser notre monde.
Ecologues, anthropologues, médecins, sociologues, économistes,… soucieux des biens communs : tous et toutes alertent quant à un changement de paradigme à opérer si nous ne voulons pas vivre un changement brutal du monde dans lequel nous vivons.
Cette pandémie due au Covid 19 pourrait être l’une des étincelles embrasant notre monde actuel globalisé, se répandant sur les sphères économiques, financières, sociales, politiques, climatiques et sanitaires. Un autre monde pourra émerger mais notre peur tétanisante de nous engager dans un chantier d’une telle ampleur freine nos initiatives et l’urgence avec laquelle nous devons, toutes et tous répondre .
Pour autant il est urgent de :
- sortir de ce monde néolibéral dépendant des énergies fossiles, qui détruit le vivant par sa négligence de la biodiversité et qui prive Femmes et Hommes de leurs biens communs.
Pour Marie-Monique Robin dans son livre « La fabrique des pandémies » en 2021, « le constat est sans appel : la destruction des écosystèmes par la déforestation, l’urbanisation, l’agriculture industrielle et la globalisation économique menace directement la santé planétaire. » Selon l’autrice, appuyée dans son investigation et l’écriture d’encadrés pédagogiques par le scientifique Serge Morand, écologue de la santé au Cirad et au CNRS, cette destruction est à l’origine de la multiplication de maladies émergentes «zoonotiques», c’est-à-dire transmises par des animaux aux humains – « d’Ébola à la covid-19. »
- sortir de cette violence néolibérale asservissant population humaine et espèces animales qui détruit les espaces de liberté et de créativité.
La tendance des états est d’augmenter leur capacité à contrôler les libertés individuelles dans des logiques autoritaires. Pour Loic Waquant dans « La tornade sécuritaire mondiale : néolibéralisme et châtiment à l’aube du xxie siècle » en 2010, « le virage punitif de la politique publique, qui concerne à la fois la protection sociale et la justice pénale, participe d’un projet politique qui répond à la montée de l’insécurité sociale et à ses effets déstabilisateurs dans les échelons inférieurs de l’ordre social et spatial. Ce projet implique la refonte et le redéploiement de l’État pour soutenir les mécanismes de type marchand et discipliner le nouveau prolétariat postindustriel tout en contenant les perturbations internes générées par la fragmentation du salariat, la rétraction des systèmes de protection sociale, et la réorganisation corrélative de la hiérarchie ethnique établie (ethnoraciale aux États-Unis, ethnonationale en Europe occidentale, et un mélange des deux en Amérique latine – Wacquant, 2010). »
À une crise de cet ordre, l’expression de notre résilience, de nos résistances doit s’exprimer plus que jamais pour réinventer ce monde en encourageant « le partage, la coopération, l’autonomie créatrice et l’imagination de tous les acteurs et actrices locaux-ales. »
Agnès Sinaï, Raphaël Stevens, Hugo Carton, Pablo Servigne
« Petit traité de résilience locale » Éditions Charles Léopold Mayer, 2015
La ligne politique, pouvant s’inspirer de la théorie du communalisme ou municipalisme libertaire de Murray Bookchin, est donc claire : conscientisation écologique et réinvention des systèmes d’organisation de vie commune respectueuses des territoires, et soucieuse de réduire les inégalités.
Ainsi l’école doit être le lieu pour éduquer les futur.e.s batisseur.se.s oeuvrier.e.s de ce nouveau monde. Nous sommes dans une école qui n’amène plus l’élève à comprendre le monde, ni lui permet d’interagir dans un environnement quel qu’il soit avec lucidité et sens critique. Un lieu pensé selon la productivité, sans interroger les impacts écologiques et sociaux. Il est évident que nous nous situons à l’interstice d’une double nécessité : lutter au quotidien pour que l’emprise des injonctions idéologiques néolibérales déstabilisent le moins possible les temps et les lieux qui garantissent un semblant d’équité dans notre société et imaginer ce qui pourrait la rendre plus équitable et cohérente avec notre écosystème.
A.Gorz invitait dans les 1960 à « distinguer les réformes subalternes des réformes révolutionnaires. Les premières, disait-il partent de l’urgence de remédier aux dysfonctionnements de la société existante, les secondes de l’urgence de dépasser la société existante vers la société qui est en gestation et qui donne aux actions leur sens et leur but ultime. La tâche de la politique était , selon lui, de définir des objectifs stratégiques intermédiaires, dont la poursuite répond aux urgences du présent tout en préfigurant la société qui demande à naître. » A. Gorz: « Penser l’avenir » . Entretien avec François Nouldelmann. La découverte. 2019 Quand bien même l’immédiateté de nos contraintes quotidiennes ne sauraient permettre une mise en perspective de nos besoins futurs, nous nous devons de transmettre à nos élèves les outils pour bâtir en commun ce changement de paradigme vital pour notre civilisation.
Nous sommes dans une école qui n’amène plus l’élève à comprendre le monde, ni lui permet d’interagir dans un environnement quel qu’il soit avec lucidité et sens critique. Un lieu pensé selon la productivité, sans interroger les impacts écologiques et sociaux.
Que notre modèle d’éducation passe d’une formation où les élèves s’orientent pour produire de la valeur à des élèves qui créent de la richesse.
De 3 ans à 18 ans, élaborons un programme centré sur l’autonomie :
- écologique basée sur les principes permaculturels
- sociale et solidaire mettant en jeu réseaux et collaborations entre établissements, associations, collectivités locales, recherches universitaires, parents…
- émancipatrice prenant en compte la singularité de chacun.e au travers des pédagogies coopératives et critiques et le cheminement émotionnel des élèves par le biais des programmes de développement affectifs et sociaux.
Une école d’ » oeuvrier.e.s «
Dans cette perspective , l’idée de nommer l’élève par « oeuvrier.e » semble être légitime pour engager la dimension créative des chenilles oeuvrières nécessaires à la construction d’une école plus en phase avec l’urgence de la rénover.
La notion d’oeuvrier de Roland Gori et Bernard Lubat pourrait se définir ainsi : « Oeuvriers, il y a dans ce mot, énigmatique, aux multiples sens, une intuition, l’intuition d’une urgence et de la nécessité de révolutionner la relation au travail, à la vie. Il faut en finir avec le « travail en miettes » qui transforme chacun de nos métiers en chaîne de production standardisée, fabriquant des objets et des services sans saveurs ni originalité, et un monde glacial et désenchanté. L’oeuvre n’est pas incompatible avec le travail, le travail bien fait dans l’amitié et le goût. On peut gagner sa vie mais aussi la partager avec les autres en produisant des objets et des services de qualité. Il faut pour cela restituer aux conditions sociales des métiers leurs dimensions artisanales et artistiques, faire oeuvre. C’est une urgence. Urgence démocratique autant que subjective. Ce sont des oeuvrier.e.s qui vous le disent, artiste, journaliste et chercheur.e.
Oeuvrier.e.s, manifestez-vous ! !
OBJECTIF : Une école développant l’autonomie
L’autonomie indique une capacité d’autolimitation. Elle se définit comme la compréhension et la maîtrise par chaque individu de ses actes, la possibilité d’en voir le bout, s’interroger par exemple sur la destination et la nécessité de ce que je produis au travail, l’origine et les conditions de production de ce que je consomme.
A. Gorz : Pour une pensée de l’écosocialisme
L’école envisage pour chaque oeuvrièr.e de s’émanciper grâce à l’acquisition de connaissances outillées et conscientisées pour que chaque production ou création de richesses futures soit indissociable d’une prise en compte de ses interactions avec l’environnement vivant dans lequel il/elle veut s’engager.
Son autonomie à créer et à s’adapter aux réseaux collectifs se confortera dans sa capacité à délimiter ses actions pour le bien commun.
MOYENS : Piliers structurels
Projet de ZAD/ZAV : Zone à Débitumiser / Zone à Végétaliser
Certaines municipalités européennes ont déjà lancé cette perspective de revégétaliser les établissements scolaires. À Paris, un plan de financement de 320 000 euros par école est engagé pour que les cours d’école soient de possibles zones de biodiversité. De nombreux projets en France s’orientent notamment par le biais des E3D pour débitumiser les cours d’école et les rendre ainsi en lieux d’expérimentation de plantations d’arbres, de potagers, de petites fermes (poulaillers…)
La France compte actuellement 61 900 ecoles et établissements dans le second degré.
Après la 2nde guerre mondiale, l’Etat français avait investi massivement dans des plans quinquenaux visant à développer les infrastructures sportives et culturelles. Il en serait de même pour ce projet ZAD.
Un budget de 19 milliards serait à envisager.
Dotation des établissements et organisation des enseignements
Principes communs :
- Classes inférieures à 22 élèves. Une augmentation de 30% des DGH est nécessaire pour favoriser les apprentissages et regroupement des classes
- Co-interventions, transdisciplinarité programmatique et interdisciplinarité…
- Missions des professeur.e.s à définir selon un axe disciplinaire et un autre interdisciplinaire commun à chacun.e.
- Nombre de disciplines travaillées par jour réduites avec des temps de vie et de travail libre pour les élèves
Principes d’autonomie locale (communalisme scolaire)
- Organisation et modularité des classes (double niveau pour faciliter le tutorat à étudier, groupe classe mélangé sur certains temps d’apprentissage, groupe selon des enseignements professionnels ou techniques et généraux…)
- Choix des modes de pédagogie à orienter selon les structures et personnels
- Choix des projets et réseaux d’échanges avec des partenaires.
Formation des personnels
- Formation d’éducation populaire pour un diagnostic des besoins des personnels au travers d’une enquête de conscientisation
- Formation pour tous les personnels d’une semaine de culture permaculturelle réalisée par des acteurs/trices locaux, des éducateurs/trices permaculturels
- Formation d’une semaine pour tous les personnels sur des contenus écologisés et des méthodes pédagogiques nouvelles ou radicales et sur du co-enseignement (interdisciplinarité).
Statut des enseignant.e.s
Les personnels restent sur leur quota horaire mais leur enseignement disciplinaire est partagé :
- 60% disciplinaire
- 30 % permaculture et outillage
- 10 % coopération et conseil de vie de classe ou d’établissement
COMMENT : Ecologisation des contenus
Support possible : écopédagogie critique d’orientation permaculturelle
Il devra s’agir d’une réflexion écologique insistant sur la complexité des phénomènes, leur interconnexion, et leur lien étroit avec les mécanismes de domination. En s’inspirant des travaux d’Irène Pereira, une écopédagogie critique a vocation à être envisagée de manière intersectionnelle. Elle n’aura de sens que si elle est décoloniale et questionne l’origine du désastre écologique actuel à l’aune de la colonialité, des principes d’une modernité dont l’évènement fondateur est la colonisation du continent américain et d’un rapport de domination Nord-Sud. L’écopédagogie sera également féministe, pensant le saccage de l’environnement dans son aspect masculiniste, viriliste, et sans verser dans l’essentialisme. Elle doit aussi nécessairement questionner le capitalisme et être anti-classiste, puisque si la Terre est massacrée de manière industrielle, dans le but de produire et accumuler toujours plus, elle l’est au seul profit des 1% les plus riches, etc….
« La permaculture n’étant pas limitée à la conception de systèmes agricoles, et n’étant pas non plus dans ce domaine défini par un lot de techniques agricoles qui lui seraient propres, elle doit être comprise avant tout comme un mode de réflexion interrogeant la relation des êtres humains avec leur planète (et ses occupants) afin de trouver de façon concrète, jusque dans leurs pratiques quotidiennes, comment rendre cohérente leur vie sur terre au regard des enjeux globaux du milieu dans lequel ils vivent. » Richard Wallner.
Ainsi l’orientation des contenus diffusés à l’école n’aura pour vertu que celle d’amener les oeuvrier.e.s à une conscientisation des enjeux de sauvegarde de la biocénose, en développant un esprit critique sur notre mode de consommation, d’échange, d’interdépendance et en favorisant des outils de résilience :
- Connaissance des êtres vivants et conséquences de l’impact humain dans l’écosystème
- Connaissance des sciences et techniques diminuant l’empreinte carbone de nos modes de vie
- Philosophie de l’entraide et histoire critique de l’évolution humaine
- Jeux et créations artistiques
- Création et Construction d’outils techniques écologiques
- Culture et résilience alimentaire, vers l’autosuffisance locale et collective. Consulter ce site.
Trois Axiomes programmatiques
1- Connaissances
OBSERVER , COMPRENDRE , CONSCIENTISER, CREER
60% du temps scolaire
Matrices interdiscilplinaires s’inspirant de la théorie de la complexité :
Sciences des humanités et des territoires (rendre visible ce qui était invisible : histoire des luttes…)
- Français
- Histoire, géographie, éducation à la morale écologique
- Economie écologique (Nicholas Georgescu-Roegen La décroissance Entropie – Écologie – Économie en 1995)
- Sociologie, socio éthique, Philosophie
- Eco (socio)linguistique : consulter ce site
Sciences du vivant
- Biophysique, Biochimie, éthologie, mathématiques, ethnomathématiques : Consulter ce site Les Cahiers de pédagogies radicales. Développer les pédagogies inspirées par l’oeuvre de Paulo Freire. L’ethnomathématique, un outil de lutte contre les épistémicides – mathématiques radicales : consulter ce site. – botanique…
Sciences des arts et de la culture corporelle
Arts et performances (Arts plastiques, musique, théâtre, danse, cirque…)
- EPEC : Education Physique Ecologique Coopérative (Jeux coopératifs et/ou d’opposition en interdépendance positive, activités de pleine nature, parcours de motricité. Utilisation moindre de matériels pour diminuer notre empreinte carbone…)
2 – Pratiques permaculturelles
CULTIVER, FAIRE
30% du temps scolaire
Matrices interdiscilplinaires :
- Cultiver, Planter, Élever (poulailler…)
- Technologie, et outillage manuel. Consulter la page : « Des lycéens de lycée professionnels construisent une pompe à éolienne »
- Revégétaliser les établissements
- Atelier de réparation type répar-café pour vélo et outils en lien avec des agents territoriaux et enseignant.e.s
3 – « Rhysommer »
S’ENTRAIDER, COOPERER , ÉCHANGER (communalisme scolaire)
10% du temps scolaire
Vie commune :
- Conseil hebdommadaire du climat scolaire
- Entretien participatif des acteurs et actrices des lieux
- Conseil de gestion tournant (administratif, logistique …)
- Échange de bonnes pratiques inter-établissements, liens recherche et associations…
- École ouverte aux parents
Lire la suite ici : exemples d’emplois du temps en école élémentaire, en collège. Liens.
Septième contribution
Qu’est-ce que la Pédagogie du Chef d’Oeuvre ?
Par Charles Pépinster ancien instituteur et ancien Inspecteur en Belgique.
Charles Pépinster nous explique cette pédagogie dans une vidéo

Vous pouvez lire la vidéo en cliquant ici.
Charles Pépinster nous parle de la Maison des Enfants de Buzet en Belgique. : « C’est une école tout à fait légale. Elle ressemble à toutes les autres mais en enlevant tout ce que les autres ont ajouté comme prison mentale. Il était normal, à mon avis, d’enlever tout ce qui poussait à la concurrence, pour faire naître la solidarité, d’enlever aussi tout ce qui était interrogations un peu inquisitoires pour que les élèves puissent dire là où ils souhaitent qu’on leur explique des choses ; au lieu de camoufler leurs erreurs, qu’ils les étalent facilement, sans aucune crainte, surtout sans la crainte d’être jamais dénoncés à leurs parents. »
Q : Il est important qu’il n’y ait pas de compétition entre les élèves (pas de notes par exemple).
Pour une raison qui est de plus en plus d’actualité : c’est-à-dire qu’il semblerait que l’Humanité se soit sortie des difficultés qu’elle a rencontrées au cours des millénaires par deux qualités développées : la solidarité pour faire face aux dangers et ils ont inventé des stratégies propres à vaincre des obstacles. Nous voulons former des citoyens préparés à affronter les périls qui les menacent. On ne peut plus retourner aux méthodes du XIX° siècle, la domination, la sélection, etc. […]
Q : Comment vous faites au quotidien pour leur apprendre l’autonomie ?
Par plusieurs moyens, c’est vraiment tout un programme. A chaque instant, on sollicite la recherche des élèves. On se dispense, sauf lorsqu’ils le demandent (ça c’est important) de leur transmettre les données toutes faites. On les met en situation de recherche, en situation de vigilance par rapport à ce que les voisins et voisines ont découvert, le travail de groupe est chaque fois la clé d’une recherche. Avec la pédagogie du chef d’oeuvre, ils apprennent à l’un et à l’autre. […] Consulter la suite sur la vidéo.
Sixième contribution
Les écoles expérimentales… Et maintenant ?
Proposition de Michel Eymard, ancien des Ecoles expérimentales de la Villeneuve de Grenoble, responsable de l’ex Centre de Classes-Lecture de Grenoble, ancien élu municipal dans le Vercors.
Les écoles expérimentales ont permis d’explorer de nouvelles pistes d’organisation de l’école et de construction des savoirs.
Elles ont mis en évidence :
- que le statut des personnes (la manière dont elles se perçoivent comme la place qu’on leur attribue), dans l’école en particulier, comme dans la société en général, pouvait évoluer en participant à la conception et à la réalisation de projets.
- que l’évolution du statut s’accompagnait d’une évolution du rapport à l’écrit, si l’écrit était utilisé pour penser l’action dans laquelle les individus étaient engagés, et si la maîtrise de son usage était une préoccupation constante du groupe.
Les écoles expérimentales n’ont pas réussi à infuser suffisamment, bien que la pertinence de leurs pratiques ait pu être constatée. Sans doute parce que ces pratiques bousculent l’ordre établi.
Ce dont peuvent ne pas vouloir ceux qui possèdent déjà les moyens de la conquête du pouvoir.
Ce dont peuvent ne pas avoir envie ceux qui pressentent qu’ils devront s’investir et donc modifier leur train-train quotidien.
Ce dont ne se doutent même pas les publics dont on dit qu’ils sont éloignés… empêchés… (par qui ? de quoi ?).
Alors, une suggestion : et si on passait d’écoles expérimentales à communes expérimentales ?
Combien de listes élues aux dernières élections municipales ont mis en avant la participation des citoyens dans leur programme ? Elles sont nombreuses.
- Que recouvrent les termes « participation citoyenne » ou « démocratie participative » pour celles qui la prônent ou en ont fait leur marque de fabrique ?
- Quels objectifs assignent-elles à cette démarche ? De quel constat/diagnostic, de quelle analyse partent-elles ? Sur quels indicateurs s’appuient-elles ? La promotion collective est-elle à l’ordre du jour ?
- Comment envisagent-elles de mettre ces concepts en pratique ? Ont-elles envisagé une méthode de travail ?
- Depuis l’élection, qu’est-ce qui a été mis en place ? Quelles difficultés ? Quels objets de satisfaction ? […] Lire le texte dans son intégralité ici.
Cinquième contribution
Elle nous vient de Belgique.
Haccourt, école belge à pédagogie du chef-d’œuvre
Haccourt, école fondamentale communale belge à pédagogie du chef-d’œuvre, en milieu socio-économique peu favorisé a bien évolué depuis la rentrée de septembre, où elle a été créée.
Elle correspond à l’école primaire (maternelle et élémentaire et au collège jusqu’en troisième, en France. Mais les différences sont immenses.
Voici des nouvelles après quelques mois passés au sein du projet : les choses se mettent en place petit à petit et nous pouvons déjà observer les bienfaits liés à la suppression de la compétition en faveur de la solidarité et du dialogue.
Nous avons mis en place le portfolio composé de traces d’apprentissages choisies par l’enfant. Celles qui contiennent des erreurs que les enfants peuvent expliquer sont mises à l’honneur et mettent l’enfant en situation de confiance. Le traditionnel bulletin chiffré a été revisité en faveur des besoins identitaires.
Une grille d’évaluation reprenant les compétences des 6 années primaires a été construite par les enseignantes et leur sert de repère. Les sorties nature sont de plus en plus régulières et nous montrent une autre facette des enfants ainsi que du groupe d’enfants.
Nous jouissons d’une magnifique bibliothèque, lieu de recherche pour de petits exposés présentés chaque semaine au sein des classes. En maternelles, les enfants organisent la semaine et les idées ne manquent pas. Nous observons chaque jour l’évolution des enfants vivant au sein d’un groupe hétérogène.
La philosophie de l’école attire de plus en plus de monde. Les inscriptions en témoignent. Nous nous réjouissons que les mesures sanitaires soient bientôt assouplies pour profiter des interactions entre les enfants de 2, 5 ans à 12 ans… mais également pour inviter des parents et des artisans à partager leur passion avec nos élèves.
Christelle Fosséprez (f.christelle@icloud.com) 10/03/21
QUESTION de Charles Pépinster, initiateur du Groupe Belge d’Education Nouvelle (GBEN) – pédagogie du Chef-d’Oeuvre. Il s’interroge sur notre système éducatif français : « Dites-moi : qui (et au nom de quel texte légal) pourrait empêcher une école publique française d’adopter la pédagogie du chef-d’oeuvre comme ça s’est fait à Haccourt, en Belgique ? Qui a essayé après avoir, éventuellement, pris langue avec l’inspecteur ? »
Nous avons donné la parole à Daniel Amédro, ancien inspecteur d’académie : « L’Education nationale reconnait la liberté pédagogique de l’enseignant, ainsi que celle des équipes, et nous connaissons tous des établissements expérimentaux (https://eduscol.education.fr/98/innover-et-experimenter). Il existe encore des écoles Freinet, ainsi que des collèges Freinet ; très peu, mais il y en a. La pérennité de ces expériences n’est pas évidente, cependant, car elle exige (ce que je vais dire est trivial) de réunir dans la durée une équipe pédagogique, d’intéresser des parents jusqu’au point d’accepter de livrer leurs enfants comme cobayes, et, enfin, de ne pas effrayer l’administration. Celle-ci va toujours regarder attentivement ce qui se met en place. Il vaut mieux ne pas défrayer la chronique, sinon l’inspecteur rapplique vite fait. Expérimentation ou pas, – est-il besoin de le dire ?, – ce qui demeure incontournable ce sont les connaissances et compétences du socle. Dans le cas d’espèce, l’administration ne peut qu’être mal disposée car la pédagogie en question élimine la concurrence entre les élèves, et les ‘’chiens de garde’’ de notre société (et éducation) libérale n’aiment pas cela ! Aucun responsable (recteur, inspecteur d’académie, inspecteur pédagogique) ne va jamais s’exprimer aussi directement, mais les moyens de compliquer la vie à une expérimentation existent : ils consistent à comprimer les moyens d’enseignement de l’école ou de l’établissement au nom des effectifs. Ajoutons que l’Education nationale vit actuellement, avec Blanquer, une période particulière… Quoi qu’il en soit, bien se dire qu’il est extrêmement difficile d’exister, d’avancer et de durer contre l’Education nationale. Pour une expérimentation d’une certaine ampleur, il est recommandé de prendre l’attache de l’inspection académique et du rectorat. Je conseille aussi de regarder si, dans les mouvements pédagogiques du département (GFEN, Freinet…), on trouve des inspecteurs engagés. »
Quatrième contribution
Education : changer de paradigme
Les « communs »
Diverses collectifs et personnalités, évoquent les communs et en y intégrant l’éducation. (1) Leurs déclarations justifient les raisons d’être de notre site www.educationbiencommun.fr .
Pourquoi, comment ? Il importe d’exprimer nos réponses à ces questions ! Ce n’est peut-être pas un hasard si la réflexion qui suit s’opère dans une période révolutionnaire, celle de « Me too » et « Me too inceste » celle qui ouvre le procès du patriarcat…
Des anthropologues ont décrit les évolutions du statut de l’enfant. Il conviendra d’en tirer profit.
Voici mes propre constats :
Les enfants comme « bien familial »
L’enfant est le produit de l’instinct animal de reproduction. Instinct que l’Homme intellectualise de diverses façons (preuve de sa virilité, moyen de se prolonger en mieux si possible, de donner du sens à sa vie, de contribuer à l’avenir de l’humanité, etc…).
L’enfant a constitué longtemps aussi un « bien » qu’on possède (2). Un objet du patriarcat. Il peut être une ressource pour la famille (enfant placé chez un patron, enfant mendiant, mariages monnayés, enfant prostitué, enfant guetteur ou porteur de drogue, charge explosive pour un attentat etc…). Un objet de fierté ou de honte. Un objet sexuel . Un objet de chantage quand les géniteurs se séparent. Un simple objet qu’on rejette (filles « déshonorées ») – qu’on abandonne : enfants des rues . Etc …
L’enfant a été jusqu’au milieu du XXème siècle un objet que la famille formate pour transmettre ses « valeurs » elles-mêmes fruit d’un formatage social. La reproduction familiale s’est longtemps réalisée. Les garçons y bénéficient encore d’un statut privilégié, les filles commencent à en prendre conscience. Les sociologues révèlent qu’on peut estimer qu’il existe dans chaque classe entre un et trois enfants victimes de l’inceste !
En 2020, avec Me too, et Me too incest le processus émancipateur s’accélère d’une manière inimaginable…
Par comparaison, l’affirmation « l’enfant est une personne, un sujet à part entière dès son plus jeune âge » émise au cours des années 1950 par Françoise Dolto, a commencé à pénétrer l’esprit public en 1968, mais n’a ébranlé le système scolaire qu’à la marge (3). En 2020 , l’idée d’une éducation comme « bien commun » peut et doit produire aussi une accélération (4)
On verra comment, en 2021 le ministre Blanquer entreprend de la faire régresser.
Dans le champ familial, de nombreuses aliénations découlent de la réification de l’enfant, du très long statut d’objet possédé par le père, dont la fonction de chef de famille n’a été supprimée qu’en 1970 . Le concept émancipation évoqué par Marx a concerné en premier lieu les travailleurs. En 1871, la Commune n’a pas eu le temps de transformer les statuts des autres « dominés », la femme, l’enfant… Jules Ferry a prétendu que l’émancipation découlerait de l’accès au savoir que l’école publique allait transmettre… tout en conditionnant les enfants. Sa lettre aux instituteurs est révélatrice : « Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire« . Ce rôle du « savoir » est incontestable, s’il s’agit d’un savoir « construit », dès la petite enfance, par la pratique systématique de la réflexion individuelle et collective , par l’exercice de l’esprit critique, et par la transmission des savoirs établis, au moment opportun, par les éducateurs. Cette pédagogie a été mise en chantier par les mouvements pédagogiques d’une manière très minoritaire mais l’expérience acquise est riche d’enseignements. Les rares enfants qui en ont bénéficié en témoignent quand ils sont interrogés et il est probable qu’ils contribuent eux-mêmes au projet émancipateur dans leur famille et peut-être dans le champ politique.
Les enfants (et les adolescents) comme « bien social »
Les sociétés « primitives » peuvent accorder une grande liberté aux enfants mais leur imposent de se conformer à la culture du groupe social (rites d’initiations, etc.). Objets, outils, facteurs de la « reproduction sociale ». Il importe de respecter les coutumes positives qui persistent. Il est d’actualité de s’interroger, en termes d’émancipation, sur celles qui servent à dominer. Cette « réflexion systématique » dans le champ éducatif semble le meilleur moyen pour que les dominés se libèrent eux-mêmes…
En France, les enfants ont été considérés très longtemps comme un bien. Le père de famille, mais aussi l’Eglise, avaient la charge de les conditionner. L’Eglise voulait conserver ce privilège au début du XXème siècle. Ses écoles sont encore nombreuses aujourd’hui, fréquentées principalement par les enfants des classes privilégiées. Les classes populaires bénéficient de l’école laïque et sont, pour le moins, protégées de ce conditionnement. Le scandale qui se révèle aujourd’hui (plus de 10 000 enfants abusés sexuellement par des prêtres pédophiles que la hiérarchie protège encore) montre la face sombre du concept « bien social » : l’enfant est un objet qu’on peut encore massivement torturer et qui plus est un facteur de reproduction du crime. La mansuétude passée de la justice mérite d’être interrogée…
L’Etat moderne, peut gérer la population en tant que « bien social » par une politique nataliste ( avec criminalisation de l’avortement et de la contraception), développée après la guerre de 14 et jusqu’en 1974. Inversement, la Chine de Mao a mené une politique de l’enfant unique, non sans conséquences négatives… Il est encore indécent de considérer que la terre est surpeuplée !
L’éducation des enfants est un investissement, qu’on ajuste à chaque époque .
Du temps de Jules Ferry l’école publique devait éduquer une future main-d’œuvre sachant suffisamment lire et compter pour satisfaire les besoins de l’économie et la formater au profit d’une morale conservatrice et du patriotisme ( l’Histoire comme « roman national » a encore cours de nos jours). Les futurs cadres allaient dans les petites classes des lycées où ils avaient accès à la culture, au latin, au grec, à la musique…) Le formatage prenait d’autres formes et contribuait à la légitimation de la classe dominante..
La jeunesse apparaît plus précisément aujourd’hui comme bien et comme objet (outil, matière…) pour assurer la reproduction sociale, pour répondre aux projets de l’économie, pour subir, les conséquences des choix économiques et politiques, ou les délires totalitaires sur les champs de bataille (etc.)
Alain Supiot illustre cette réalité d’une manière saisissante dans son cours au collège de France (Les Figures de l’allégeance 2014). Il décrit l’application du taylorisme à la conduite de la guerre de 1914 : « Mobilisation totale » –toute existence est convertie en énergie (5). La guerre « gigantesque processus de travail ». L’ordre militaire impose son modèle à l’ordre public. Mobilisation totale dans une « guerre économique perpétuelle et sans merci » au sein d’un « marché total » Il cite Norbert Wiener : « les pays se sont transformés en gigantesques usines produisant des armées à la chaîne afin d’être en mesure de les envoyer 24H sur24 au front où un processus sanglant mécanisé joue le rôle du marché …turbine alimentée en sang humain. »
Le ministre Blanquer entend aujourd’hui réaffirmer le statut de l’enfant comme « bien social » au service de l’économie capitaliste, et mettre fin à toute velléité émancipatrice.
L’école maternelle (souvent idéalisée) a été le lieu où l’idée que l’enfant est une personne était cultivée. Blanquer siffle la fin de la récréation : il expérimente un questionnaire concernant les 2 -3 ans entrant à la maternelle. Les instits doivent cocher ce qu’elles-ils observent «Agité, répondeur, désordonné, rebelle ». Dans une « note d’analyse et de propositions », le Conseil Supérieur des Programmes »» suggère de focaliser l’école maternelle sur quelques apprentissages ciblés (appartenant aux « fondamentaux ») qui seraient intensément travaillés .
La grande section (5ans) doit devenir la propédeutique d’un CP chargé d’enseigner la lecture de la manière la plus archaïque (prétendument justifiée par des travaux sur le cerveau ).
Le CSP entend faire entrer ces enfants dans le moule scolaire au plus vite, transformer ces petites personnes au plus vite en objets « rentables ». (6)
A partir de 6 ans, le statut d’objet est depuis longtemps bien établi. L’enfant doit se conformer aux objectifs des programmes. Une sorte de rite d’initiation cruel pour beaucoup, si l’on considère le nombre de blessures, humiliation voire mutilations de la personnalité qu’il engendre. Les enseignants qui s’en indignent sont minoritaires. Dans des situations exceptionnelles certains inventent des organisations (ex. : les classes multiâges où les enfants peuvent se développer hors des normes imposées), et mettent en œuvre des pédagogies non excluantes… Situations appelées à disparaître avec un ministre qui se veut à la tête d’une startup et entend remettre de l’ordre dans le processus de production.
Ce qui change complètement la donne
On pourrait considérer que ces constats relèvent simplement d’une critique radicale portant à la fois sur le statut de l’enfant et sur le système éducatif, que l’émancipation est un projet dont les avancées et les régressions font partie du cours de l’Histoire et qu’il importe de résister autant que faire se peut et militer pour retrouver la marche vers « les jours heureux ».
Ce serait faire comme si les manifestations maintenant visibles de l’anthropocène ne nous mettaient pas devant une alternative : changer de paradigme ou sombrer dans un chaos mortel pour l’humanité.
Nous pouvons et devons dès aujourd’hui considérer que nos enfants vont se trouver au cœur de cette alternative. Soit victimes, soit facteurs majeurs du changement de paradigme, c’est pourquoi le projet éducatif devrait avoir une place centrale dans notre réflexion.
La pédagogie du projet qui fonde les apprentissages sur les réalités de l’environnement a fait ses preuves. Elle a donné naissance à l’idée d’une société éducatrice. Le « changement de paradigme » va entraîner une mobilisation de toutes les énergies pour transformer nos modes de vie et réaliser des changements dans de nombreux domaines.
Les enfants et les adolescents devront y prendre part. A cet effet, les éducateurs, les enseignants, devront s’emparer de cette pédagogie du projet et la faire fructifier selon des modalités qu’il faut dès aujourd’hui étudier : faire connaître cette pédagogie dans le public – en faire connaître les modalités aux enseignants – montrer que de nombreux acteurs dans la société peuvent avoir un rôle important dans le processus – utiliser toutes les incitations pour multiplier les volontaires – populariser les réalisations – montrer que le potentiel de chaque enfant peut s’y exprimer, que le moteur n’est plus la compétition mais le sentiment de participer au bien collectif, d’appartenir à une équipe solidaire.
L’Histoire récente a montré que des idéologies les plus contraires ont impliqué les enfants dans des « mobilisations » totalitaires et funestes. Il importe donc aussi de mettre l’émancipation en tête des objectifs poursuivis et de veiller à l’équilibre entre le respect de l’individu, l’enfant est une personne, et l’implication dans le projet collectif, l’enfant est un être social.
Le double aspect de la notion de bien commun appliqué à l’éducation sera ainsi harmonisé : les enfants et la jeunesse :
- comme un investissement pour préserver les chances de survie de l’espèce humaine en faisant passer l’intérêt commun, nécessairement durable devant l’intérêt privé dépourvu de limite Il ne s’agit plus de faire de chacun-e un rouage plus ou moins important de la machine économique, mais un acteur contribuant à un projet vital en utilisant tout son potentiel.
- comme vecteurs de l’émancipation, individuelle et collective susceptible de marquer de la différence du statut de l’homme au sein du monde animal.
Raymond Millot 21 02 21
NOTES
(1) – Ludivine Bantigny historienne membre du collectif « Faire commune »précise que « les communs sont des ressources et des biens, mais aussi des actions collectives et des formes de vie fondées sur la coproduction. Ils se fondent sur la solidarité et la coopération(…) non plus le marché mais le partage, non plus la concurrence mais la solidarité, non plus la compétition mais le commun. Nous avons pleine légitimité à défendre ‘ce monde d’après’ ».
– D. Bourg – G.Chapelle – J. Chapoutot – Ph.Desbrosse – X.Ricard Lanata – P.Servigne – S. Swaton sont plus précis dans la mesure 25 de leurs « 35 PROPOSITIONS » (1): Réforme de l’éducation et de la recherche donnant la part belle, pour ce qui concerne la première, à la coopération et la créativité et pour la seconde aux sciences citoyennes et participatives sans entraver la recherche fondamentale, plus que jamais essentielle.
– La CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT a fait des recommandations concernant l’éducation qui, sans citer le concept de « communs » vont tout-à-fait dans le sens que nous lui donnons. Elles figurent sur le site https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/
– Le Conseil National pour une Nouvelle Résistance dans sa déclaration : 5 .Les biens communs sont l’air, l’eau, la biodiversité, la santé, l’éducation. La liste des biens communs est complétée par une délibération d’une convention de citoyen.
– L’UNESCO : 128 « L’éducation, un bien commun ? questions sur la notion d’éducation envisagée comme un bien public et sur l’aptitude de l’État à garantir à tous le droit à l’éducation. Recontextualiser le droit à l’éducation. Le discours international sur le développement fait souvent référence à l’éducation, à la fois en tant que droit humain et bien public. Le principe de l’éducation considéré comme un droit fondamental de l’être humain qui permet la mise en œuvre d’autres droits humains. »
– Benjamin Coriat nous rappelle la définition juridique de biens communs « les choses qui expriment des utilités fonctionnelles à l’exercice des droits fondamentaux ainsi qu’au libre développement de la personne. »
– Alain Supiot dans une conférence au Collège de France a traité du sujet en 2010.
(2) Le pater familias était l’homme de plus haut rang dans une maisonnée romaine. Il détenait la patria potestas (puissance paternelle) sur sa femme, ses enfants et ses esclaves. Cette potestas était « de vie ou de mort. »
3) au cours des années 1960 Robert Gloton inspecteur et président du GFEN entendait faire avancer cette idée en créant les écoles expérimentales (dont l’école Vitruve) Ses collègues se moquaient de sa « pédagogie des folies bergères »
(4) le site www.educationbiencommun est un outil qu’il importerait d’utiliser à cet effet.
(5) la révolution industrielle, avant même le taylorisme, avait de la même manière transformé les travailleurs « en énergie ». Le paysan, l’artisan, étaient des personnes possédant des savoirs et des savoirs- faire, ils deviennent des prolétaires (cf.Marx), dans le processus de production capitaliste, des objets, des rouages de la chaîne de production.. Alain Supiot évoque les chaînes de l’usine Ford dans les années 20 où l’on considérait que l’ouvrier devait laisser son cerveau au vestiaire). André Gorz (1923-2007) penseur de l’écosocialisme, a étudié l’expérience des usines Suédoise Volvo ou les travailleurs, dans le cadre d’une expérience autogestionnaire, changeaient de poste et mettaient en commun leurs savoirs et savoir-faire d’une manière organisée. Projet de sortir de l’état de prolétaire qui s’est avéré dangereux parce qu’il donnait des idées subversives aux ouvriers. L’expérience a été interrompue.
(6) Mireille Brigaudiot, Pascale Garnier , Sylvie Plane : « Vouloir rendre « rentable » l’école maternelle est une aberration technocratique » article publié dans le Monde du 9 février
Une première réaction : « Ton texte est vraiment bien et je m’y retrouve parfaitement » Philippe Meirieu.
En attente d’autres commentaires sur tous les textes … et d’autres contributions à la réflexion.
Troisième contribution
Camille Pasquier : extrait de son texte du BLOG : « Equidignité… »
« Il semble que la notion d’égalité soit un concept qui résonne comme une évidence dans une société en bonne santé. Depuis la Déclaration des Droits Humains, elle est agitée comme une nécessité. Celle-ci est affichée au fronton de chaque commune en France, ‘liberté, égalité, fraternité’. L’école n’échappe pas à cette évidence et le discours dominant nous berce dans l’idée que l’école serait le lieu de l’égalité des chances. École qui jusqu’à présent, fonctionne pourtant autour du principe de compétition par le biais des notes et autres valeurs accordées ou non à un travail réalisé.
De nombreuses personnes aujourd’hui encore sont assuré.e.s que l’école est réellement le lieu de l’égalité des chances. D’autres en revanche sont, si ce n’est sceptiques, totalement convaincues qu’il n’en est rien.
Le concept d’équidignité, s’il ne parle pas de l’égalité d’accès à la connaissance et de l’immense gouffre qui existe entre les classes populaires et les classes aisées à ce sujet, parle de l’égalité en droit à la dignité. Mais cela a un lien direct avec le gouffre de l’inégalité des chances créé par de nombreux paramètres dans la société.
Les apprentissages, que ce soit à l’école ou tout au long de la vie, se développent à partir de piliers fondamentaux que sont par exemple la qualité de la relation à la personne qui transmet, la confiance en soi, la motivation intrinsèque (à différencier de la motivation extrinsèque créée par les systèmes de punition/récompense), l’expérimentation, le sens, etc…
La relation existe de fait entre la personne désireuse d’apprendre et la personne en capacité de transmettre, qu’elle que soit cette personne (professeur.e, ami.e., collègue, supérieur hiérarchique, etc). Cette relation est constituée ou non, d’un équilibre, d’une confiance, d’une estime qui apporteront ou non par exemple, non seulement du crédit à l’enseignement, mais aussi une sécurité affective en la personne qui transmet. Ces éléments créent la qualité de la relation.
Intuitivement, il est assez simple d’être convaincu.e que la qualité de cette relation favorisera ou non la qualité des apprentissages ou encore le plaisir de donner et recevoir un enseignement. Dans les faits en revanche, il est plus compliqué de l’acter afin de favoriser une relation saine. » Lire la suite.
Deuxième contribution
Parlons de résistance… de désobéissance. Texte envoyé par Sylvie Pralong sur son expérience de prof d’école.
Enseignante retraitée depuis 2 ans, école élémentaire une vingtaine d’années et maternelle les 15 dernières, j’ai participé au mouvement des enseignants désobéisseurs au temps du ministre de l’Education nationale Darcos, ainsi qu’à celui du Comité National de Résistance à Base Elève. J’ai toujours considéré que la meilleure façon de désobéir en conscience est de connaitre parfaitement les textes officiels afin de faire la part de ce qui est le texte de loi et sa mise en musique locale aux travers de circulaires qui vont souvent plus loin et demandent des choses qui ne sont pas dans le texte de loi, laissant croire que ces demandes sont obligatoires sous prétexte qu’elles sont écrites par des supérieurs hiérarchiques. Mais la désobéissance ne peut s’arrêter aux circulaires et il est des textes de loi officiels qui ne peuvent être acceptés car ils sont en contradiction avec des textes supérieurs tels que la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, par exemple. »
Le 20 novembre est la Journée internationale des Droits de l’Enfant. Lire ici
Première contribution
Dans un article publié sur le site (lire ici en intégralité), Pierre Frackowiak amorce ce travail ainsi :
Savoirs de base et savoirs soft. J’attache la plus grande importance à l’inversion des définitions (du CMA tlv : Comité Mondial pour les Apprentissages tout au long de la vie).
Les savoirs dits soft sont ou devraient être les savoirs dits de base. Sinon, ces savoirs (valeurs, finalités, objectifs généraux transversaux) sont toujours relégués au second plan, voire à l’arrière plan, toujours écrasés par les savoirs dits de base. On les évoque au lendemain d’attentats ou de catastrophes, mais on sait bien qu’à part l’heure d’instruction morale et civique, ils ne sont jamais l’objet d’apprentissages pensés, d’engagements collectifs explicites, de projets d’établissement.
Quant aux savoirs dits de base, les pédagogues savent qu’ils peuvent prendre du sens et gagner en efficacité quand ils sont enracinés, mis en perspective, mis en relation a-disciplinaire dans les apprentissages des savoirs dits soft.
La pression (l’oppression) des savoirs disciplinaires académiques (programmes, progressions, didactique des disciplines, contrôles) dont le choix et la durée de rétention méritent réflexion, est un obstacle majeur à la transformation des systèmes éducatifs. Cette pression n’a cessé de s’aggraver avec le renforcement des corporatismes et l’importance croissante du diplôme… qui ignorent complètement les savoirs dits softs. Pourtant, l’évolution exponentielle des savoirs de l’humanité et la puissance des technologies nouvelles de communication remettent en cause complètement cette habitude séculaire d’ajouter des « couches » nouvelles de savoirs disciplinaires aux anciennes déjà sédimentées, voire fossilisées.
Inculqués. Les savoirs devraient être construits par une démarche active des apprenants dans des situations porteuses de sens, plutôt qu’inculqués.
Rapports avec les adultes. Parents, collègues… certes. Mais aussi éducateurs socioculturels, personnels spécialisés, sportifs, artistes, médias… tous les porteurs de savoirs soucieux de les partager. Le concept de projet éducatif de territoire, rassemblant les acteurs d’une éducation globale, compris dans le projet initial de refondation de l’école en France, est à cet égard un sujet de réflexion fondamentale. L’école n’a pas plus depuis fort longtemps le monopole de la construction des savoirs et des compétences. L’a-t-elle déjà eu réellement ?
Alphabétisation scientifique. Il ne peut s’agir que d’une erreur des rédacteurs de la déclaration. Il est évident que l’on remplacera « alphabétisation » par « éducation scientifique et technique », rendue de plus en plus importante dans notre vie, notamment par rapport aux enjeux écologiques. De plus, on sait que les situations d’apprentissage des sciences et des techniques peuvent être de meilleurs supports pour les apprentissages dits de base (lire, écrire, parler, compter.. ) que les situations inventées spécifiquement dans les disciplines scolaires.