Un ministre sans vergogne… et sans culture…

Par Eveline Charmeux, professeur-formateur honoraire de français, ex-chercheur à l’INRP.  Publié dans Système éducatif.

Les groupes de niveau accélèrent les inégalités à l’école

Et pourtant, de la vergogne — et de la culture, pédagogique — quand on est ministre de l’Ecole, il lui en faudrait pour éviter le ridicule : affirmer comme si c’était une découverte récente, ce qui a été dénoncé comme une erreur, depuis plus de cinquante ans, ne saurait être un atout, pour personne, mais cela frôle la honte quand c’est un ministre qui tient ce genre de discours. Tentons de lui offrir quelques miettes, de cette culture qui lui manque…

Comme le rappelle Sylvain Connac, qui s’appuie sur les travaux de la sociologue Marie Duru-Bellat, pour qui l’organisation de groupes dits « de niveau » produit un effet d’accélération des inégalités qui séparent les élèves, et de confirmation de celles-ci, incompatible avec des objectifs démocratiques pour l’école, la proposition du ministre est assez catastrophique.
On voit mal comment le fait de « séparer le bon grain de l’ivraie », parmi les élèves, favoriserait une réussite égale pour tous. Même si — ne soyons pas « bisounours » — cette pratique reste le vœu secret (ou à demi avoué !) de plus d’un enseignant, l’objectif officiel reste bien de faire réussir tout le monde, et d’apporter un « plus » à chacun des élèves.

Faut-il être ignorant pour voir dans l’installation de groupes de niveau une solution évidente à la réussite de tous les élèves, et avoir un raisonnement bancal, pour penser qu’une organisation dont les faits prouvent qu’elle accentue ouvertement les inégalités entre les élèves, pourrait permettre d’atteindre cet objectif !
Comment expliquer un tel aveuglement, de la part d’un ministre ?

Il est vrai qu’un ministre qui sort de l’Ecole Alsacienne, ne peut avoir de l’école primaire qu’une vision sommaire, surtout quand tout ce qu’il dit prouve une ignorance complète de l’histoire de l’école primaire française.
Or, quand un nouveau PDG est nommé à la tête d’une entreprise, en général, il commence par s’intéresser à son histoire. Ce n’est pas l’idée de monsieur Attal, qui préfère partir de zéro et prétend avoir des ambitions pour l’améliorer. La question alors se pose immédiatement : comment peut-on améliorer une entreprise, si on ne connaît rien de son passé ?

Quelqu’un ne pourrait-il pas le prévenir que la question des groupes de niveau a fait l’objet de tout un travail collectif, à une époque où la recherche pédagogique méritait vraiment cet adjectif, ainsi que celui de « démocratique »?

La recherche pédagogique « avant » comme elle devrait se faire aujourd’hui…

Il est vrai que c’était « avant » : la recherche ne se faisait pas en laboratoire, mais sur l’ensemble des écoles primaires de France, qui avaient accepté d’y participer : plus de cent groupes scolaires y étaient engagés. J’ai participé à des colloques sur la pédagogie du français présidés par les plus importants chercheurs de l’époque, où étaient présents, sur deux, voire trois semaines, plusieurs centaines de collègues.
Précisons qu’il y en avait autant pour les maths et les autres disciplines.

C’était surtout un travail collectif approfondi : on travaillait sur des hypothèses proposées par des scientifiques : on organisait des séances destinées à mettre au point des expérimentations durant quelques semaines dans les classes concernées, puis on se retrouvait pour discuter des premiers constats et rectifier le travail pour les semaines à venir, avant de nouvelles rencontres.
Chaque directeur de recherche rédigeait des rapports, bases de travail pour les semaines suivantes. C’était une organisation véritablement démocratique… C’étaient les années 70…

Les ministres de l’époque, qui nous ont soutenus ont été successivement Olivier Guichard qui a vraiment aidé le démarrage de ces recherches, puis quatre ministres, dont Alain Savary, qui l’a fortement aidée. Les autres l’ont plus ou moins tolérée, jusqu’à ce que Jean-Pierre Chevènement annonce « la fin de la récré » (la formule est de lui !!) : plus de « recherche », mais du sérieux, car, maintenant : on sait !!

L’âge d’or de la recherche en pédagogie était terminé… Qui le relancera ?
Assurément, ce ne sera pas Gabriel Attal.

Eveline Charmeux,

professeur-formateur honoraire de français, ex-chercheur à l’INRP

sur son blog

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Lire aussi sur le blog l’article d’Eveline Charmeux « Tiens ! Re-voilà les groupes de niveaux… »

avec ce commentaire d’Alain Miossec  » : A la suite de l’interpellation d’Eveline, celles et ceux qui auraient besoin de revisiter arguments et enjeux de la pratique des groupes de niveau, je conseille la lecture de l’article Marie Duru-Bellat : « Classes de niveau ou collège unique ? » sur le site des alternatives économiques.

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Tweet sur les évaluations au collège. Au vu des mauvais résultats en quatrième cette rentrée, le ministre Attal soutient que seule est bonne sa réforme des groupes de niveaux qui va rassembler les bons élèves entre eux d’un côté et les mauvais de l’autre. Non : les élèves doivent profiter de l’hétérogénéité du groupe-classe avec toute sa diversité pour une promotion collective efficace et de groupes de besoins de temps en temps, non fixes :

« Presse SE-Unsa

Sur 4 h de maths, on pourrait avoir 1 h consacrée à des groupes allégés : l’un pour faire des fractions, l’autre de la géométrie. Puis, au bout d’un certain temps, on change les groupes en les créant différemment, car des élèves tout le temps en difficulté, ça n’existe pas ».

Peut être une image de 12 personnes et texte qui dit ’PRESSE Presse SE-Unsa @PresseSEUnsa Résultats des évaluations nationales de 6e et 4e. @jeromef212, @SEUnsa plutôt que des groupes de niveaux, il vaudrait mieux "des groupes de besoins". @franceinfo Translate post francetvinfo.fr’

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