Par Serge Herreman, rédacteur en chef de la revue de l’AFL (Association Française pour la lecture) « Les Actes de lecture ». Publié dans Savoirs émancipateurs.
Editorial de la revue n°157 mars 2022.
Qu’est-ce que la fluence ?
« Fluence », ce mot, à côté de « codage » s’est vu imposé par le ministère de l’éducation nationale pour évoquer l’apprentissage de la lecture. Mais qu’est-ce donc que cette fluence ?…
Pour le Larousse, la fluence renvoie à une « manière de parler facile, style plein d’aisance ». Le terme est absent du Robert.
Du côté des textes officiels, « la fluence de lecture est définie comme la capacité à lire avec aisance, rapidement, sans erreurs et avec une intonation adaptée. »
On sait l’influence de l’association Agir pour l’école sur l’enseignement de la lecture.
Son site rend compte des travaux de la commission nationale du NRP (National Reading Panel) mise en place par… le congrès américain en 1997.
Citations :
La fluence de lecture correspond à « l’automatisation du processus de décodage ». Elle permet de «parvenir à une lecture efficace ».
« Les bons lecteurs sont capables de lire à voix haute rapidement et avec précision. Malheureusement souvent négligée en classe, la fluence permet la compréhension. Si le texte est lu laborieusement, il sera en effet difficile à l’enfant de se souvenir de ce qu’il a lu et de rapprocher les idées exprimées dans le texte de ses connaissances propres.
[…]
La lecture à voix haute
L’analyse des 16 études retenues par le NRP a montré que l’impact de la lecture à voix haute était considérable sur la reconnaissance des mots, la fluence de lecture et la compréhension, à tous les niveaux de la scolarité et pour tous les élèves (faibles, moyens, bons). »
On ne peut que s’interroger sur ces propos, non ?
Des questions
L’automatisation du décodage induit-elle nécessairement la compréhension ?
Est-ce la fluence qui permet la compréhension ou la compréhension qui permet la fluence ?
On peut entendre (!) l’assertion « Les bons lecteurs sont capables de lire à voix haute rapidement et avec précision. » (1)
Mais qu’est-ce qu’un bon lecteur sinon quelqu’un qui lit avec les yeux et comprend ce qu’il lit ? Qu’est-ce qu’un bon lecteur sinon quelqu’un capable à la fois de lire vite et d’utiliser différentes stratégies selon les supports rencontrés ?…
Et peut-on ne pas être d’accord avec E. Charmeux quand elle affirme que « la lecture à haute voix est une activité orale, différente de la lecture proprement dite, qui consiste à communiquer oralement à d’autres sa propre lecture d’un texte écrit. La lecture, elle, est une activité visuelle, indépendante de la communication orale » ?
Pour conclure, n’est-il pas plus juste d’écrire que pour dire un texte il faut d’abord pouvoir le lire et mieux, il faut aussi savoir le lire et vouloir le dire… ? Et que la fluence telle qu’elle est présentée ne peut a priori pas aider des apprenants, particulièrement ceux qui rencontrent des difficultés, à « acquérir la lecture » grâce à l’automatisation du décodage…
Le débat
Ce dernier numéro des Actes souhaitait lancer un débat entre les différents protagonistes concernés par la lutte contre les inégalités sociales et pour la promotion collective. Un débat contradictoire, précisait-on, où chacun puisse faire apparaître la réalité de ses propositions plutôt qu’une caricature élaborée idéologiquement pour les rendre invisibles.
Christine Passerieux et Paul Devin ayant dirigé l’ouvrage « Apprendre à lire. Une pratique culturelle en classe », Éditions de l’Atelier ont été les premiers à se prêter à l’exercice. Eveline Charmeux a accepté d’apporter sa contribution dans ce numéro et nous l’en remercions.
Il ne s’agit pas, faut-il le rappeler, que tout le monde soit d’accord sur tout mais prêt à chercher d’indispensables convergences pour faire force de propositions.
Oui, l’idée est bien de se retrouver autour d’une plate-forme commune à réinventer… pour agir.
Serge Herreman
rédacteur de la revue « Les Actes de lecture » AFL
N°157 mars 2022