par Karine Ennifer, Conseillère d’éducation populaire et de jeunesse. Publié dans Société éducatrice. Compte rendu d’une réunion de l’éducation populaire :
A Grenoble, en mai, un temps de réflexion…
Environ 80 personnes (jeunes, parents, enseignant.e.s, animatrices, mais très peu d’hommes) ont échangé à la Maison des associations de Grenoble, pendant plus de deux heures, grâce à un dispositif d’éducation populaire (pétales et cœur de la fleur), le 10 mai au soir, à l’invitation du réseau Education et environnement, sur le sujet : « Education et environnement, on fait comment ? Les pratiques éducatives aujourd’hui sont-elles adaptées à la transition écologique ? »
Avec l’aimable participation d’Isabelle Peloux (voir Note au bas de cette page), fondatrice en 2006 d’une école élémentaire en pleine nature, au cœur du centre agro-écologique des Amanins, dans la Drôme.
La soirée a été un temps de réflexion non seulement sur l’éducation mais aussi sur la société : une société qui valorise le plaisir immédiat et, par contre, réunit mal les conditions du bien-être, avec des conséquences néfastes chez certain•e•s sur le sommeil, l’humeur ou les comportements alimentaires, voire, avec des troubles de l’humeur, de l’agressivité et de l’émotivité. En cause, le manque de soleil, de lumière et le stress qui ont tendance à diminuer au sein du cerveau, la production et la qualité de la sérotonine, neurotransmetteur impliqué dans la gestion des humeurs, associé à l’état de sérénité ; une mauvaise alimentation a également des effets négatifs sur le corps.
L’éducation devrait respecter les besoins des enfants et des adultes
La première attente est donc que l’éducation contribue au bien-être des enfants, plutôt que d’ajouter du stress. Le bien-être n’est-il pas indispensable aux apprentissages ? Les espaces/temps éducatifs respectent-ils toujours les besoins des enfants ?
- Le besoin de nature, de re-connexion au vivant, et à soi, à sa propre intériorité, ont été fortement mis en avant : le besoin de « remettre les pieds sur terre ».
- Ralentir, se retrouver en retrouvant le vivant, à l’intérieur comme à l’extérieur de soi. Retrouver le temps d’apprécier la beauté de la nature, la joie d’entendre les oiseaux.
- Et, côté éducateurs/éducatrices, retrouver le temps d’observer les enfants, de penser sa pratique, sans se perdre dans des catalogues (et sans acheter plein de matériels ou plein de prestations coûteuses) : « C’est souvent nous qui sommes bloqué•e•s ». « Tirer le fil », à partir d’une trouvaille d’enfant ou d’adulte, écouter son bon sens, avoir confiance dans ce que la vie du groupe amènera.
- Le lien au vivant donne du sens aux apprentissages et apaise en nous ramenant à notre propre condition de vivant parmi les vivants. La nature nous donne ; elle n’exige rien de nous, ne nous juge pas.
Des actions dans le milieu et tout un réseau…
Il faut juste avoir le déclic qui permet de « se décaler », de faire un pas de côté pour oser sortir, aller dehors, que ce soit pour jardiner, observer les petites bêtes, découvrir les transformations d’un bosquet au fil des saisons. Il n’y a pas forcément besoin d’aller loin … Parfois juste traverser la rue. Sortir des sentiers pour marcher dans l’herbe sous les arbres dans le parc près de chez soi.
C’est là où le réseau est utile et important : pour se soutenir mutuellement, pour oser changer.
Il n’y a pas forcément besoin de formation, pas besoin de connaissances naturalistes, même si bien sûr quelques lectures seront utiles.
- Les parents peuvent aussi être des ressources et des soutiens. Les parents des classes populaires, notamment lorsqu’ils sont originaires de régions rurales, ont souvent des connaissances en jardinage, connaissent les arbres et leurs fruits, peuvent témoigner aussi de pratiques traditionnelles, dans la construction des bâtiments par exemple. La pauvreté monétaire n’est pas forcément synonyme de pauvreté culturelle… Et surtout il s’agit là d’une culture qui n’est pas valorisée…
- Les initiatives sont nombreuses depuis la création en Ardèche, en 1997, de la Ferme des enfants par Sophie Rabhi. La permaculture, qui veut permettre aux humains d’exister en harmonie avec leur environnement, est de plus en plus connue et a donné lieu, dans le domaine de l’éducation, à l’invention du concept de « permanimation ».
- L’association lyonnaise « Exprimons-vous » vise ainsi à « créer les conditions favorables au développement et à l’expression de chacun•e dans le respect de l’environnement (les autres enfants, les adultes, les locaux, la nature, les objets) », en organisant la démarche pédagogique prioritairement autour des besoins et des envies des enfants, et en s’assurant aussi du bien être des équipes d’animation et d’une relation apaisée avec les familles.
- A l’école de Pérouse, c’est l’association des parents d’élève qui a financé l’achat de matériel de jardinage. Les contenants de jardinage ont été réalisés en palettes issues de dons, assemblés par des parents volontaires et remplis par du terreau et de la terre également issus de dons de parents.
- Le développement de pratiques dans la nature permet une éducation holistique, à la fois sensitive, culturelle, relationnelle, émotionnelle et scientifique. Adultes comme enfants développent leurs capacités d’observation, d’expérimentation, d’étonnement, de réflexion et de créativité. Autant de capacités fondamentales pour la « réussite scolaire » !!!
Des enfants et des adultes, acteurs de la transformation sociale
Se lancer dans ce changement de pratique peut mener très loin dans la transformation de l’environnement de l’école ou du centre de loisirs : dé-bétonisation des espaces extérieurs, plantation de haies et de fleurs pour favoriser la biodiversité, plantation d’arbres pour la fraicheur et le plaisir, fermeture de certaines places ou rues à la circulation automobile, réaménagement des locaux … Enfants et adultes, acteurs de la coéducation, deviennent alors des acteurs de la transformation sociale au-delà du champ éducatif (dans le cadre d’une éco-citoyenneté en acte qui est aussi une forme irremplaçable d’éducation par l’expérience).
Réflexions préalables à l’action…
Un impact fort sur chacune et chacun, et sur l’environnement, ne peut cependant s’obtenir par une pratique trop marginale. Il ne s’agit pas de jardiner ou d’aller dans le petit bois « quand on y pense », « une fois de temps en temps ». Dans une société qui n’est pas structurée pour et autour du vivant, les enfants continuent à grandir, pour l’essentiel de leur temps, séparés de la nature et peuvent continuer à se projeter dans des rêves de conducteurs automobiles plutôt que de jardiniers si ce n’est pas l’ensemble de ce qui leur est apporté qui ne va pas dans le sens d’une nouvelle vision du monde. Quelles activités de loisirs sont privilégiés ? Quels sont les lectures qui leurs sont proposées ? Quelles expériences de vie, au quotidien ?
OSONS
« Le but de l’éducation n’est plus seulement d’apprendre quelque chose à son interlocuteur, mais de chercher avec lui les moyens de transformer le monde dans lequel ils vivent » Paulo Freire.
Et le terme d’ «humain » n’est-il pas dérivé de celui d’ « humus » ?
Karine Ennifer, Conseillère d’éducation populaire et de jeunesse
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NOTE
Présentation d’Isabelle Peloux
J’ai le grand plaisir de vous présenter Isabelle Peloux qui est notre grand témoin pour cette soirée.
Je connais depuis moins d’1 an Isabelle mais j’en sais suffisamment sur elle pour vous dire que sa connaissance et sa sensibilité à l’humain et à son environnement sont immenses.
En effet, il y a 16 ans Isabelle Peloux, professeure des écoles, a fondé une école élémentaire en pleine nature, au cœur du centre agro-écologique des Amanins, dans la Drôme. Elle y a développé une pédagogie fondée sur la coopération entre les élèves ainsi qu’un enseignement pratique et spécifique d’éducation à la paix avec soi-même, avec les autres et avec l’environnement. C’est une expérience particulière et enrichissante qu’elle se propose maintenant de diffuser de manière engagée durant le temps de la retraite qu’elle a prise en septembre dernier.
Elle est également formatrice à la relation entre l’enseignant et l’enseigné, accompagnatrice de groupes de parole de parents.
Karine Ennifer
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AUTRES NOTES
« Grenoble est Capitale Verte Européenne 2022 ! Un titre qui reconnait et encourage les territoires pionniers en matière de transitions. Citoyens, entreprises, acteurs publics… Lire sur cette page.
Cette soirée du 10 mai dont parle l’article était organisée dans le cadre de la Semaine de l’Education de la ville de Grenoble.
L’éducation n’a pas été abordée comme thématique par l’Agence Grenoble Capitale verte, en considérant que c’est un sujet transversal.
Ceci étant, la ville de Grenoble est très engagée (dé-bétonisation des cours, rénovation des bâtiments, soutien aux équipes pour les classes dans la nature, possibilité pour chaque classe d’aller deux fois par an à la Maison des collines, « place aux enfants » – fermeture des accès automobiles devant les écoles…).
Le directeur de l’Agence Grenoble Capitale verte, qui ne concerne pas que la ville mais aussi la Métro et le Département, a participé au séminaire régional que nous avons organisé avec la Maison de la nature et de l’environnement, et plusieurs associations, le 12 mai, sur l’écologie dans les projets ERASMUS + Jeunesse.
Karine Ennifer
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DES ACTIONS AVEC QUELQUES ASSOCIATIONS DANS LE MONDE EDUCATIF
- Le collectif « Enseignant.e.s Pour la Planète » existe depuis le mois de janvier 2019. Les membres du bureau de cette association ont signé récemment notre Appel. Consulter leur site.
- « Agir pour l’Environnement » le site avec la rubrique sur la biodiversité : ZONE DE BZZZ 2022 : SAUVONS LES INSECTES POLLINISATEURS. « Des centaines de Packs Zone de BZZZ ont été distribués au printemps 2022 [ndlr : grauitement] aux écoles [ndlr : et établissements du secondaire] pour contribuer à sensibiliser les jeunes générations à la préservation de la biodiversité et à l’équilibre des écosystèmes ». D’autres actions sont proposées comme la sensibilisation aux déchets et à l’invasion par le plastique pour faire réfléchir les élèves sur cette pollution etc.
- « Profs en transition ». Leur blog présente des activités dont la dernière « Le Projet Etablissement Bas Carbone […] Il permet aux établissements du secondaire de s’inscrire dans une démarche de réduction de leur empreinte carbone : sensibilisation des personnels et élèves, calcul carbone sur les principaux postes (alimentation, énérgies, mobilités, etc.), plans d’actions et suivi. Au coeur d’une pédagogie de projet active, le PEBC fédère les initiatives et les acteurs de la communauté éducative autour de l’axe central de la transition de nos sociétés : la réduction nécessaire de nos émissions carbone ». Lire ici.
- Et certainement d’autres…