Les associations et leurs bénévoles, levain de la vie démocratique

Par Karine Ennifer, Conseillère d’éducation populaire et de jeunesse. Publié dans Société éducatrice. 

Dans De la démocratie en Amérique, Tocqueville s’étonnait du nombre d’associations qui existaient à l’époque, et qui lui apparaissaient comme un ingrédient fondamental de la vie d’une société démocratique.

Les associations en France

En France, les associations regroupent près de 2 millions de salariés et, dans la première décennie du XXIe siècle, elles ont créé plus d’emplois que les entreprises privées. Par ailleurs, près d’un français sur trois de plus de 15 ans est bénévole. Les associations, présentes dans de nombreux domaines, sont donc au cœur de la société civile et civique. Pourtant elles restent méconnues, voire caricaturées : elles souffriraient d’amateurisme par rapport à l’entreprise ou par rapport aux collectivités territoriales.

Leur évolution à l’heure actuelle

De fait, celles-ci ont bien souvent pris la main au cours de la dernière décennie sur des actions auparavant assumées par des associations : animation socio-culturelle, soutien scolaire, actions jeunesse, actions sociales, … Cette évolution s’explique par la prise en considération de ces problématiques par les politiques publiques, ce qui est évidemment positif. Toutefois, la municipalisation, directe ou par l’intermédiaire de CCAS, centres sociaux ou « maisons des habitants » sans statut associatif signifie aussi bien souvent bureaucratisation, rigidification et perte de lien avec les habitant.e.s transformés en usagers d’un service, quand ils/elles étaient auparavant acteurs d’un projet (ceci, sans parler des « agents »).

Des associations disparaissent, ou sont mises en difficulté, après des changements politiques, parce que le soutien de l’Etat à la vie associative aujourd’hui est largement insuffisant et que les associations dépendent, de fait, des subventions que les collectivités veulent bien leur accorder (dans un contexte de plus où elles n’ont plus la main sur leurs finances).  Souvent, elles se voient contraintes de passer beaucoup de temps à rédiger des dossiers de demande de subventions, que ce soit pour les diverses collectivités, l’Etat, l’Europe ou les fondations, et c’est autant de temps en moins pour, par exemple, accompagner des jeunes en stage, en service civique ou en mission d’intérêt général dans le cadre du Service national universel ou autre.

Conséquence en terme de vie démocratique

Outre le ressentiment qui peut s’en suivre, notamment dans les quartiers populaires qui vivent parfois cette évolution comme une forme de néo-colonialisme, on peut s’inquiéter de ce que cela fait perdre en termes d’ « empuissancement » (empowerment) des personnes.  En effet, on sait combien d’élu.e.s étaient venues à « la politique » après des expériences plus ou moins longues dans des CA ou bureaux d’association. Quelles sont les possibilités aujourd’hui, pour des jeunes, ou moins jeunes, de vivre ces parcours, lorsqu’il n’y a plus d’autre association sur leur territoire que des associations sportives souvent sans assemblée générale ? Il serait intéressant d’analyser l’évolution des profils des élu.e.s dans les assemblées locales ou nationales….

Certes, certaines associations ont pu se pénaliser elles-mêmes en étant dans une opposition politique locale systématique. Les collectivités veulent aussi « avoir la main » et pouvoir communiquer sur leur action. Toutefois, à l’heure où beaucoup souhaitent « développer la démocratie participative », ne pourraient-elles pas précisément valoriser auprès de leurs habitant.e.s le fait de faire confiance aux associations que ces habitant.e.s précisément font vivre ? Des conventions pluri-annuelles peuvent très bien venir sécuriser le cadre.  

On ne peut pas à la fois regretter des niveaux impressionnants d’abstention aux élections,  constater le développement de votes protestataires et continuer à ne pas déléguer de responsabilités. Et « donner du pouvoir » ne peut pas passer simplement par des budgets ou des chantiers participatifs.

Vivre en tant que bénévole l’aventure d’une association, c’est découvrir la réalité de l’intelligence collective, prendre confiance dans ses capacités et celles des autres, se sentir acteur et sortir du sentiment d’impuissance, vivre des moments de joie, être fièr.e du travail réalisé ensemble, dans le cadre de valeurs et de finalités partagées. Une société démocratique peut-elle perdurer sans cette dimension de convivialité, de solidarité de terrain et d’auto-éducation/émancipation  populaire ? La question est posée.

Karine Ennifer, Conseillère d’éducation populaire et de jeunesse

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