Par Philippe Meirieu, chercheur, professeur des Universités en Sciences de l’éducation. Publié dans Société éducatrice.
On ne comprend rien à l’éducation populaire si l’on ignore que ses militantes et militants restent aujourd’hui, plus que jamais, des insurgés refusant le fatalisme du destin, la restriction de la culture à une élite, la résignation à l’injustice et aux inégalités…
Du 17 au 19 mars 2022, ont eu lieu à Poitiers les premières Rencontres nationales de l’éducation populaire. Une réponse politique, sociale et culturelle aux enjeux de demain.
Les enjeux de l’éducation populaire
Dans «éducation populaire», il y a d’abord «éducation». Et qui dit «éducation», dit «éducation de toutes et tous sans condition». Tant qu’on n’a pas épuisé tous les moyens pour éduquer quelqu’un, on n’a pas le droit de dire qu’il est inéducable. Et, puisqu’on ne sait jamais si l’on a épuisé tous les moyens pour y parvenir, impossible de se résigner à l’échec. C’est pourquoi les militantes et les militants de l’éducation populaire refusent que, face aux problèmes de nos sociétés, on ne mobilise que la sanction, la répression et l’exclusion : ils exigent que l’on fasse le pari de la prévention et de l’éducation. Ils savent que ce pari n’est guère du goût des technocrates car ses résultats sont toujours difficiles à mesurer. Mais ils sont convaincus qu’il faut inlassablement s’attaquer aux causes plutôt que de tenter de camoufler les symptômes de nos maux. Ils savent aussi qu’en matière éducative, rien n’est jamais définitivement gagné : on ne forme pas des sujets comme on fabrique des objets. On crée des situations, on mobilise des ressources, on accompagne des personnes pour qu’elles comprennent ce qui leur arrive et mobilisent leur liberté. Pas de victoire définitive dans cette affaire, mais une obstination besogneuse au quotidien, au plus près des gens et, en particulier, des «gens de peu».
Dans «éducation populaire», il y a aussi «populaire»
Car, dans «éducation populaire», il y a aussi «populaire». Pas une éducation «populiste»… mais tout le contraire, précisément : une éducation «exigeante». Loin des slogans manichéens et des logiques de boucs émissaires, de l’emprise des marques ou des gourous, l’éducation populaire veut faire partager une culture qui permet de s’ouvrir à l’altérité et de créer du commun, de reconnaître les différences entre les êtres et les cultures tout en activant les solidarités entre eux. Entreprise difficile aussi et sans cesse à remettre en chantier. Car il n’est pas possible, ici, de se contenter d’une politique de l’offre et d’attendre le «client» intéressé en regrettant l’indifférence ou l’hostilité des autres : il faut aller au-devant de toutes et tous et, en particulier, de celles et ceux qui sont les plus éloignés des savoir-faire et des savoirs qui émancipent. Proposer. Re-proposer sans cesse, jusqu’à ce que les personnes se saisissent de ce qui leur permettra de se dépasser, de se libérer de tous les enfermements, d’échapper à tous les processus d’assignation à résidence pour, ensemble, «se faire œuvre d’elles-mêmes».
Parce qu’elles sont mobilisées contre toutes les formes de fatalité, les associations d’éducation populaire sont l’oxygène de la démocratie. C’est pourquoi il faudrait que la République les considère, enfin, non plus comme des prestataires de services mais comme de véritables partenaires du service public de l’éducation.
Philippe Meirieu, chercheur, professeur des universités en Sciences de l’éducation,
spécialiste de l’éducation et de la pédagogie.
Son site : Histoire et actualité de la pédagogie.

Philippe Meirieu : « L’éducation ne se résume pas à l’école »
« Philippe Meirieu a été l’un des grands témoins des 1res Rencontres nationales de l’éducation populaire (RNEP), qui se sont déroulées du 17 au 19 mars à Poitiers. Le chercheur en pédagogie et président national des Céméa explique pourquoi la société a besoin de ce mouvement synonyme d’« entraide » et de « solidarité » ».
Quelques extraits :
– Objectifs : « lutte contre les inégalités – Cohésion sociale »
– Historique : « […] le Front populaire et les premiers congés payés qui sont apparus, une sorte de droit aux loisirs. Le ministre de l’Education nationale de l’époque, Jean Zay, a vu la nécessité de créer, à côté du service de l’éducation, de la petite enfance et de la santé, un mouvement autour de citoyens qui portent les valeurs de solidarité et d’émancipation à partir de structures associatives. D’où la naissance des MJC, des centres sociaux… »
« La montée de l’individualisme, d’une recherche plus personnelle du plaisir, complique les choses. »
« L’éducation populaire vise à créer de la solidarité et à aller au-devant des gens pour transmettre, apporter une culture de qualité. Il existe des initiatives dans beaucoup de domaines. L’initiation au numérique via des camions dans un département, c’est de l’éducation populaire ! »
« On a trop souvent tendance à confondre école et éducation. L’école est essentielle, c’est le lieu où on apprend des choses fondamentales, mais l’éducation ne se résume pas à l’école. Un proverbe africain dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant« .
Lire l’article dans son intégralité ici.
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Lire aussi :
« Pour une politique publique de l’éducation populaire : 5 préconisations urgentes.
Ces 5 propositions ont été votées lors de l’assemblée générale des Rencontres nationales de l’Éducation populaire, le samedi 19 mars 2022, à Poitiers. Lire ici.
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Pour terminer, cet article d’une maman, sur notre BLOG, article qui remporte un certain succès d’ailleurs si l’on en croit les statistiques de fréquentation de cette page : « Il faut tout un village… »
Bonjour Monsieur Meirieu
Je suis très sensible à tout ce que vous dites de l’éducation populaire car dès mes 15 ans j’ai été aide-monitrice – à l’époque en 1970 on avait le droit de l’être et de travailler à cet âge. C’est ainsi que j’ai pris connaissance dans les stages des Francas à Foix (Ariège) de tout ce qui touchait à l’éducation et la psychologie des enfants. J’ai donc très jeune travaillé avec plaisir dans les centres de loisirs des écoles le jeudi et les centres aérés l’été. Passionnant.
Mais j’allais oublier : Avant mes 15 ans, j’ai été aux Eclaireuses et Eclaireurs de France, un mouvement scout protestant je crois, mais très ouvert car ma famille n’était pas protestante : c’est là que j’ai découvert « Le Livre de la Jungle » car nous étions les louveteaux et le mouvement mettait en scène les personnages du livre et les valeurs aussi : écoute du récit (les louveteaux assis en rond dans la montagne, mon goût de la lecture m’est venu entre autres de là), vie dans la nature, camps et fabrication de vraies cabanes en bois, chasses au dahu la nuit, montage de spectacles (mes souvenirs de théâtre qui expliquent sans doute ma passion pour le théâtre plus tard)…
Pour remonter encore plus loin dès mes 7 ans, j’ai fait les colos de la SNCF chaque été jusqu’à mes 17 ans. Et à aussi, le souvenir qui m’en reste, c’est la camaraderie, les jeux loin de la famille trop souvent oppressante, la découverte des gens et des régions, – j’ai même fait une recherche documentaire avec une enquête et interviews de pêcheurs à Saint-Jean de Luz pour ensuite la présenter dans un spectacle que nous avions inventé. Mon goût pour le métier de prof documentaliste ?!
Et que de souvenirs !
Longue vie à l’Education populaire !
Elle doit être soutenue et non livrée au privé et à l’argent !
Bien cordialement
Nadine Lanneau-Nougué, Saint-Orens de Gameville, banlieue de Toulouse 31
Philippe Meirieu m’a répondu : « Merci de ce témoignage ! Voilà qui me conforte dans le caractère essentiel de l’éducation populaire…
Bien à vous
Philippe Meirieu
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