Par Monique Eymard, enseignante de maternelle, – recherches-action « Ecole ouverte », « Vivre à l’école en citoyens ». Publié dans élèves, enfants.

« Mamie, c’est moi
qui lit ! » : l’accès au sens
Pour une fois qu’il est tout seul avec moi, et qu’il n’y a pas un de ses deux frères pour parler avant lui, il ne va pas rater l’occasion de montrer ce qu’il sait.
« Ça dit : On n’a pas le droit de rentrer parce que c’est chez les gens, c’est pas chez nous ».
« Mais si les gens sont là, on peut leur demander et si ils veulent bien, on peut entrer ».
« Les gens, ils ont mis une corde et le panneau parce qu’ils ne sont pas là souvent et leur maison, elle est juste au bord de la route. Alors, comme il n’y a personne, les gens peuvent entrer ».
« Moi, j’aimerais bien entrer, pour aller voir la toute petite maison là-haut » ! (Une maison miniature plus haut dans la forêt).
3 ans, pas encore scolarisé, mais à « l’école » de ses deux grands frères en MS et CP, s’il ne sait pas déchiffrer, il a déjà une lecture experte : ce que dit le texte, qui le dit, pourquoi, ce que j’en pense.
– Oui, tu as raison. Et il y a 4 mots pour dire tout ça : deux en haut et deux en bas. C’est écrit « Propriété privée » ce qui veut dire que c’est chez les gens, et « Défense d’entrer ».
Et il remarque : « Oh, il y a mon E. (Comme dans son prénom) Il y en a même beaucoup ! On les compte ? (Encore le bonheur d’exercer son pouvoir : compter tout ce qu’il trouve) ».
La voie directe n’est pas « la méthode globale » !
On assimile volontiers la voie directe à la méthode globale, la réduisant à un accès direct aux mots, sans trop imaginer ce qui pourrait bien remplacer le déchiffrement.
Or, ce qui est primordial, dans l’apprentissage de la lecture par la voie directe, c’est d’entraîner l’accès au sens, dès la petite enfance.
- A la crèche, ce papier collé sur le casier de l’enfant, dit : « Il n’y a plus de couches » ou « Apportez le carnet de santé pour la visite médicale ».
- A l’école maternelle, ce rappel sur la porte dit : « Il faut 3 parents pour nous accompagner au gymnase ».
C’est là que nait la compréhension qui fait défaut aux petits Français selon les dernières évaluations internationales (Pisa, Pirls). En comprenant que l’écrit les concerne.
Faut-il rappeler qu’entre 3 et 6 ans, apprendre, c’est d’abord vivre, pour l’écrit comme pour le reste. Faire vivre ensemble, 24 heures par semaine, 25 enfants et un, voire deux adultes, nécessite forcément de produire et d’utiliser des écrits… sauf si ce sont uniquement les adultes qui organisent la vie.
- Participer au Carnaval du quartier,
- organiser des ateliers dans l’école,
- faire des crêpes pour Mardi-Gras,
- échanger des idées pour les vacances d’hiver,
- préparer des plants pour le jardin de l’école…
Vivre à l’école ! Mais comment y fait-on vivre l’écrit ?
Quelles aides à l’apprentissage de la lecture
par la voie directe ?
Favoriser une grande diversité de rencontres avec les écrits dans la vie quotidienne
Créer les conditions d’une classe vivante dans laquelle ces rencontres sont variées et indispensables. Développer la curiosité des enfants face aux écrits qu’ils rencontrent :
- L’accès au sens (ça dit quoi ?)
- Le questionnement (qui dit ça ? pourquoi ?)
- L’implication (j’en pense quoi ?)
Instaurer une familiarité avec :
- Tous les types d’écrits, leur forme, ce qu’on peut s’attendre à y trouver.
- La langue écrite, différente de l’oral, langue étrangère pour beaucoup, en s’appropriant le vocabulaire, les expressions, les structures, les temps… La langue écrite, différente de l’oral, langue étrangère pour beaucoup, en s’appropriant le vocabulaire, les expressions, les structures, les temps… (« Alors, le loup hurla et s’enfuya… » dit C. en « lisant » l’histoire à son grand-père. A trois ans, on peut avoir « compris » que l’histoire se raconte au passé simple, et inventer une règle provisoire pour l’exprimer !)
- Les livres, en découvrant les cousinages de thèmes, de genres, de structures (randonnées…) d’auteurs, d’illustrateurs.
Construire une démarche de chercheur pour explorer la complexité de l’écrit et prendre des repères
- Mobiliser ses connaissances : prendre conscience, ensemble, de ce que l’on sait et partager les connaissances.
- Prélever des indices, dans les illustrations, les couvertures de livres (ce qu’on voit, ce qu’on en déduit, ce qu’on imagine…) dans la mise en page, dans la typographie, dans la ponctuation, en s’appuyant sur les mots connus.
- Elaborer des hypothèses à partir du début du texte, d’un extrait, de la liste des mots classés fréquence, première lettre ou terminaison (« dit » indiquera que quelqu’un parle, « répond » qu’il y a un dialogue…) du rôle des mots (dans, sous, près… sont suivis d’une indication de lieu, les pronoms indiquent qui agit, les différentes façons de nommer un personnage…) Dans un texte, c’est comme avec les legos : il y a des éléments de base et d’autres qui ont une fonction spécifique. (Un atelier petits legos en maternelle permet de pratiquer ce genre de grammaire pour ceux qui n’y sont pas initiés à la maison, sans compter la symétrie, la motricité fine, suivre un modèle et autres bienfaits) !
- Valider ou infirmer les hypothèses, relier, déduire…
- Faire le point sur ce qu’on a trouvé ou appris, ce qui reste à vérifier ou à chercher, à la fois sur le texte et sur le fonctionnement de l’écrit, sur ce qu’il faut entraîner et comment on va s’y prendre.
- Engranger les connaissances, les rendre consultables, organiser des collections de textes ou de mots.
Encourager les échanges et l’implication
- Réagir à ce que disent les écrits ou les textes.
- En parler ensemble : exprimer son avis, partager ses connaissances, ses croyances, ses doutes, ses questions, écouter l’avis des autres, coopérer, argumenter, distancier…
- Comprendre que chacun interprète le texte en fonction de son expérience, de ses connaissances.
Systématiser et entraîner
Ce n’est pas parce qu’il s’exerce à l’occasion des rencontres avec l’écrit que l’apprentissage de la voie directe n’est pas systématique, structuré et exigeant. Comme pour n’importe quel apprentissage, il faut apprendre à apprendre :
- Prendre connaissance de ce que l’on doit savoir à propos de l’écrit, à la fin de chaque cycle (compétences à acquérir)
- Savoir utiliser les aides (matérielles et humaines) et les outils de la classe pour y parvenir. Participer à leur invention et à leur mise en place.
- Savoir pourquoi et comment on s’entraîne, et utiliser les outils pour évaluer ses progrès.
- Connaître l’histoire de l’écrit et des hommes pour s’inscrire dans la lignée des humains lecteurs.
- Découvrir l’universalité de l’écrit, dans d’autres pays et d’autres langues.
Eprouver le pouvoir de lire
La façon dont on apprend à lire influe sur l’usage qu’en fera le lecteur. La voie directe s’appuie sur ses raisons de lire. Cette capacité d’interroger l’écrit dès la petite enfance, d’aller à la rencontre de la pensée des autres, de chercher ensemble, de confronter ses idées, donne à ceux qui inventeront le monde de demain, une tranquille assurance, une confiance en soi et une ouverture aux autres, indispensables pour grandir.
Comme une évidence…
Il va de soi que l’hétérogénéité des âges et des compétences est une chance ! Avez-vous rêvé d’avoir des quintuplés ? Non ! Et 5 « paires » de quintuplés, qui auraient les mêmes besoins en même temps ?
Avez-vous rêvé de vous retrouver seul sur une île déserte ? (Quelquefois après une dure journée pluvieuse…) Il va de soi que théoriser ses réussites et partager ses doutes en équipe, ça aide !
Enfin, il va de soi, qu’avec les enfants, il faudra au fur et à mesure, expliquer aux partenaires de l’école, comment on apprend à lire et à écrire autrement, car… c’est plus simple quand c’est l’affaire de tous.
Monique Eymard, enseignante de maternelle,
recherches-action « Ecole ouverte », « Vivre à l’école en citoyens ».
L’Ecole du Lac et Centre Lecture de Grenoble.