Changement de paradigme expliqué par Michel Lussault en 2016

Par Michel Lussault, géographe français, président du Conseil supérieur des programmes entre septembre 2014 et septembre 2017. Il a démissionné en 2017 à l’arrivée de Jean-Michel Blanquer. Publié dans Système éducatif

2016 : gouvernement Hollande, avec comme ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem qui a annoncé des réformes pour transformer le système éducatif.

Michel Lussault a été nommé par la ministre Najat Vallaud-Belkacem Président du Conseil Supérieur des programmes(CSP), organisme mis en place par Vincent Peillon en 2013, chargé de superviser la refonte des programmes scolaires.

Ci-dessous, commentaire de l’exposé fait en mai 2016 par Michel Lussault qui s’adresse à un parterre de chefs d’établissement qu’il s’agit de mobiliser.

Déjà une petite révolution :

« Par le « choix volontaire de représenter l’intérêt général et non l’avis des experts », le CSP consacre une rupture radicale avec la pratique centenaire qui confiait la rédaction des programmes scolaires aux Inspecteurs Généraux. Il a donc été constitué de 6 parlementaires, 2 membres du Conseil Economique et Social, 10 personnalités « qualifiées » représentant la société civile, dont une minorité issue du monde scolaire. 3 Groupes ont été constitués (correspondants aux Cycles 2, 3, 4) qui ont consulté 300 experts (40% d’universitaires, 30% des corps d’inspection, 30% d’enseignants).

Pourquoi si peu d’enseignants ? Il faut se référer à la phrase de Clémenceau : « La guerre ! C’est une chose trop grave pour être confiée à des militaires » 1917

Le socle commun avant les programmes

Les « programmes » cessent d’être l’objectif « premier » (rupture avec l’obsession des enseignants : réaliser le « programme », rupture avec la préoccupation des Inspecteurs Généraux d’ajouter au programme de nouveaux sujets issus de la vie moderne tout en conservant les anciens d’où un empilement invraisemblable).

Ce qui est premier, c’est « Le « socle commun » qui rassemble « l’ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen ».

Les « programmes » découlent du socle : ainsi, en Français, c’est savoir lire, écrire, s’exprimer oralement, « maîtriser la langue » et non pas avoir étudié (au collège) une liste d’œuvres littéraires choisies par les Inspecteurs Généraux. (Ce qui n’implique pas d’ignorer la littérature à qui on se réfèrera en de nombreuses occasions, dont la littérature jeunesse). Cet apprentissage est « une grande cause collective quand on pense que 20% des enfants sont en difficulté ». Préoccupation qui doit être partagée par tous les professeurs « y compris en Cycle 4 » !

Un moyen : les cycles

Toute la scolarité (obligatoire et maternelle) est organisée en Cycles. Ce qui signifie que des objectifs doivent être atteints à la fin de chacun d’entre eux, et que, pour les atteindre, les enseignants pourront choisir les voies convenant le mieux à leur public d’enfants (très différents entre centre-ville, banlieue, milieu rural, etc.) et adaptés au contexte local.

Cycle 1 (l’école maternelle) où l’acquisition d’un vocabulaire le plus étendu possible sera le garant d’une réussite dans les apprentissages dans les cycles suivants. « Il est prouvé que former à l’expression orale aide à mieux lire et écrire »

Cycle 2 (CP, CE1, CE2) les apprentissages fondamentaux, dont la lecture, s’étalent sur 3 ans. (commentaire : comme la marche, comme le langage, le temps d’apprentissage est plus ou moins long. On cessera de parler de « retard », de culpabiliser, de faire redoubler, de considérer comme on l’a fait longtemps qu’il faudrait, au CP, savoir lire à Noël. On s’habituera à observer les progrès dans divers autres apprentissages.)

Cycle 3 (CM1, CM2, 6ème) la liaison CM /Collège est de la plus grande importance et en même temps assez difficile à organiser (raisons matérielles). Néanmoins des échanges doivent être organisés ainsi qu’une réduction du nombre de professeurs en 6ème (professeurs chargés de deux spécialités) pour faciliter la transition. Par ailleurs, la référence commune aux objectifs du socle, et non plus « aux programmes » est de première importance pour éviter le sentiment qu’il s’agit de deux univers différents (voir plus loin).

Cycle 4 (5ème, 4ème, 3ème) au cours de ce cycle, des enseignements en rapport avec les « disciplines » traditionnelles deviendront de plus en plus fréquents (et plus encore au lycée).

Michel Lussault insiste à juste titre : « les Principaux doivent veiller à ce que l’idée de cycles ne se perdent pas au cours de la mise en œuvre des programmes ». (commentaire : l’idée de cycle a été mise en œuvre dès 1962 dans les écoles expérimentales à Paris, et mises en œuvre systématiquement dans les écoles ouvertes de la Villeneuve de Grenoble de 1972 à 2002. Les Cycles ont été officialisés par la loi d’orientation de 1989 mais ils ont très rarement été mis en œuvre … ce que semble craindre Michel Lussault !

Les apprentissages des élèves au coeur du socle

Le Président du CSP insiste (il s’agit de se faire comprendre des chefs d’établissement… peu habitués à cette conception) : « le socle a été écrit du point de vue des connaissances et des compétences des élèves et non pas des activités. Ce qui est visé, c’est ce que les élèves doivent apprendre et non ce qu’ils doivent faire. Chaque enseignant décide de ce qu’il doit faire dans sa classe en fonction des élèves qu’il a – c’est sa « liberté pédagogique » et dans le cadre du travail collectif avec les autres professeurs. C’est pourquoi les activités ne sont pas décrites dans ces « programmes » (terme que Michel Lussault regrette d’avoir encore à employer, par tradition…). Il constate que la plupart des pays européens performants ont déjà adopté cette conception et même que certains n’ont même pas de programme ! On pense à la Finlande qui a transformé son système éducatif en supprimant  les matières scolaires du programme. En conséquence, il met logiquement en cause l’usage de manuels (qui font souvent de la surenchère sur les programmes) (commentaire : en toute logique, ils devraient disparaître et donner la place à des documents utilisables dans divers projets ».

Les EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires)

Les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (E.P.I.) – sur lesquels on se focalise beaucoup ne sont qu’un outil au service du socle commun. Ils permettent une mise en relation de chaque enseignement. Au cours des EPI « on continue d’apprendre et on consolide les apprentissages de cycle». Michel Lussault reconnaît la difficulté « si vos enseignants réagissent mal, c’est que leur culture disciplinaire est trop forte, qu’ils conçoivent l’EPI comme une menace pour leur pré carré disciplinaire ».

Compte rendu Raymond Millot et Nadine Lanneau

NOTES

L’exposé de Michel Lussault

L’intégralité de l’intervention de Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes lors de la journée des chefs d’établissement.
Grenoble, Canopé, mercredi 16 mars 2016.

C’est l’intérêt général qui doit dicter un programme d’enseignement: 00:00:15
Le socle commun de compétences, de connaissances et de culture est premier: 00:06:50
Le socle, c’est le « programme des programmes »: 00:11:58
L’objectif de la scolarité obligatoire n’est pas disciplinaire !: 00:19:27
Les programmes : des balises de fin de cycle pour les parcours des élèves: 00:29:46
Chaque programme de cycle est organisé en 3 volets, et chacun est important: 00:35:04
Comment s’approprier le programme ?: 00:39:44
La spécificité du cycle 3: 00:45:38
Comment les différents enseignements contribuent au socle ?: 00:48:02
Place du français dans le programme : importance de la maitrise de la langue: 00:54:56
E.P.I. : « pas de contradiction entre disciplinaire et interdisciplinaire »: 00:59:33

Démission de Michel Lussault en 2017 à l’arrivée de Jean-Michel Blanquer : « Michel Lussault a annoncé sa démission de la présidence du CSP dans une interview publiée ce matin par Le Monde. Il y a égratigné la politique éducative menée par le ministre de l’Education nationale. « A chacune de ses déclarations, Jean-Michel Blanquer prend grand soin de se présenter comme l’anti-Najat Vallaud-Belkacem, celui qui veut sortir l’école de la funeste politique de refondation décrite par ses détracteurs comme le parachèvement de la destruction de l’école par les ‘pédagogistes’ et les ‘égalitaristes’ », a notamment déploré Michel Lussault. » Lire ici sur le site de Vousnousils.

Et consulter cette vidéo : Michel Lussault explique sa démission et ce qu’il pense de la politique éducative de Jean-Michel Blanquer. Sur France inter en 2017.

La transformation du système éducatif en Finlande. Suppression des matières scolaires, des disciplines. « Considéré comme étant l’un des meilleurs au monde, le système scolaire finlandais entame aujourd’hui [ndlr : en 2018] une totale révolution. En effet, le système éducatif de la Finlande figure toujours dans les 10 premières places mondiales en termes d’efficacité et de performance. 

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