Par Pierre Frackowiak. Publié dans Système éducatif.
Préambule
Instituteur, maître spécialisé (classe de perfectionnement), maître formateur (Ecole Normale d’Arras), chercheur (INRP), puis inspecteur durant 30 ans, j’ai cette chance d’avoir conservé de nombreuses relations dans le monde des professeurs des écoles.
Je sais que les enseignants du premier degré, et sans doute au-delà, ne supportent plus les discours, les cours, les livres, des théoriciens des réformes de l’école. Ils s’en détournent, considérant que les progressistes ont tout raté, même quand ils étaient proches du pouvoir, et qu’ils se répètent depuis 50 ans sans changer eux-mêmes. Ils ne sont plus crédibles à leurs yeux. Les mouvements pédagogiques s’étiolent et ne parviennent plus à donner de l’enthousiasme à une avant-garde qui s’éteint doucement.
Je sais que les pouvoirs successifs ont réussi à reléguer l’éducation, qui était parfois présentée comme la priorité des priorités, dans la poussière des fonds de tiroir. L’économie, la santé, la consommation, la compétition ont pris le pas sur l’école, renforçant le conservatisme naturel de l’opinion publique en la matière. Quand elle se réveille, c’est pour apporter son soutien aux habiles discours sur le « retour aux fondamentaux » dont on sait ce qu’ils cachent. Elle se secoue un peu, momentanément, pour protester contre la disparition des valeurs, sans rien faire pour les mettre (plutôt que les re mettre) au premier plan de nos préoccupations.
La lassitude, l’incompréhension, le doute, la résignation s’installent.
Comment se sortir du marasme ?
Certainement pas en persistant dans les actions qui ont toutes échoué depuis 1968.
Une seule solution de mon point de vue d’expert marginal : sortir de l’école…
Le 11/12/2020
Pierre Frackowiak
L’école, en sortir pour s’en sortir !
La situation dramatique qui s’impose brutalement, de manière imprévisible, à la société et donc à l’école, nous laisse démunis, tantôt acteurs, tantôt complices du désastre. On s’habitue au mouvement de balancier que rien ne perturbe et au jeu des alternances qui fait que c’est toujours la faute de l’autre. Chacun met toujours un voile sur ses propres carences quand il était au pouvoir ou en responsabilité, à tous les niveaux et dans tous les domaines. Le spectacle en est affligeant et désespérant. Les drames et les catastrophes provoquent des prises de conscience et des remises en cause passagères, éphémères, très vite enfouies au fond des tiroirs de l’oubli afin de ne déranger personne.
Ce n’est pas encore demain, alternance électorale ou pas, que l’on reverra dans les manifestations des banderoles portant les beaux slogans de mai 68 : changer l’école, apprendre à apprendre, ouvrir l’école sur la vie, parents / enseignants co-éducateurs , l’imagination prend le pouvoir, etc.
Les rêves de 68, partagés, puis enterrés
Dans Libération du 9 mai 2018, Philippe Douroux rappelle et analyse… Extraits de ce texte passionnant sous le titre « Mai 68, un pavé dans l’école » :
« Au colloque d’Amiens, le 15 mars 1968, tout le monde, y compris le ministre de l’Education nationale, s’accorde pour dire qu’il faut tout changer dans l’enseignement. Mais rien ne bougera, et la quasi-faillite du système français reste d’actualité. Ce fut un étrange moment de concordance des esprits, des mots et des idées qui n’allaient rien donner. Le 15 mars 1968, tout ce que la France compte de spécialistes de l’éducation se retrouve à Amiens pour un colloque préparé depuis plusieurs mois avec au programme une foultitude de débats, de tables plus ou moins rondes.L’Association d’étude pour l’expansion de la recherche scientifique a invité Pierre Bourdieu, un sociologue en devenir qui a publié deux ans plus tôt les Héritiers : les étudiants et la culture, les théoriciens d’une école «nouvelle», d’une pédagogie alternative, toutes les nuances du paysage syndical, de la droite conservatrice à la gauche de la gauche, quand le terme gauchiste n’existait pas encore. Ainsi qu’Alain Peyrefitte, un ministre de l’Education nationale respectueux de l’ordre gaulliste, mais soucieux de modernité.
Pendant deux journées intenses, les mots prononcés semblent dire la même chose : il faut tout changer dans l’enseignement. Il s’agit de reprendre le plan Langevin-Wallon qui, en 1947, devait mettre en place «un enseignement gratuit, laïque et obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans avec un corps professoral unique de la maternelle à l’université» et fut abandonné dès sa publication. En mars 1967, une tribune adressée au Monde par un professeur du lycée de Corbeil-Essonnes avait marqué les esprits : «Arrêtons le massacre ! L’école va si mal qu’il vaudrait mieux débrayer pendant une année entière pour étudier tous ensemble s’il existe des moyens de la guérir.»
(…)
Les 600 participants au colloque d’Amiens vont en fait décortiquer ce mal-être qui tourne autour des rapports maître-élève et de la formation des enseignants, fondée uniquement sur leur savoir académique sans aucun souci quant au savoir transmettre, à la pédagogie.
André Lichnerowicz, mathématicien et professeur au Collège de France, qui préside la séance inaugurale du colloque d’Amiens, dresse un bilan assez effrayant du système éducatif français. Fondé sur «un délire notateur», il forme des «gens malheureux, désadaptés […], ne sachant véritablement ni travailler ni se divertir». Il en conclut : «Un maître doit être un éducateur bien plutôt qu’un juge.»
Curieusement, Alain Peyrefitte n’est pas très éloigné de cette manière de voir les choses quand il assure qu’il faut transformer en profondeur le rôle de l’instituteur et du professeur. «Nous voudrions surtout que [le maître] soit et se veuille un éveilleur, un animateur, un formateur, et plutôt que le serviteur de sa discipline, le serviteur de ses élèves. Nous voudrions qu’il soit recruté pour les qualités du cœur et du caractère, autant que pour les qualités de l’esprit», déclare-t-il plein d’enthousiasme. Qui est contre ? Personne…
(…) Tout peut être et doit être remis en question.
Des échecs finalement confortables
Et depuis, tout ou presque a été raté : la rénovation pédagogique des années 70, l’éducation prioritaire de 81, la loi d’orientation de 89, la refondation de 2012, l’école de la confiance de 2017. Les pas en arrière ont toujours succédé aux tentatives de légers pas en avant. Le conservatisme sur tous les bords politiques, l’électoralisme à court terme, la frilosité, le manque de courage, les corporatismes, ont toujours prévalu. Pour reprendre la si belle formule d’Edgar Faure, le conservatisme a toujours été en marche et personne n’a jamais su comment l’arrêter. Si bien qu’à chaque étape de son histoire, la vie de l’école a repris comme avant, chacun essayant de s’adapter, les uns pour ne pas perdre les subventions vitales, les autres pour permettre de persévérer au niveau des revendications quantitatives qui sont leurs seules raisons d’agir, d’autres pour pouvoir poursuivre leurs activités de services oubliant leurs missions éducatives fondamentales, d’autres pour avoir la paix, d’autres pour donner l’illusion du changement sans déranger personne. Depuis 1968, on n’a jamais vu de banderoles dans les manifestations politiques ou syndicales revendiquant par exemple une refonte complète des programmes, des structures, de la formation des enseignants… Pas de banderole non plus sur le fameux « élève au centre du système », pourtant dans la loi Jospin de 1989. Pas de banderole pour le sens des activités scolaires, pour l’éducation populaire et les apprentissages tout au long de la vie.
On pourrait bien continuer comme ça ad vitam aeternam, en bavardant aimablement, en ressortant les vieilles querelles qui n’intéressent plus personne, en répétant inlassablement ce que l’on dit depuis 50 ans, en faisant le procès du dernier ministre oubliant ceux qui l’ont précédé, en réclamant des moyens tout en sachant que leur augmentation ne pourra rien changer au fond puisque l’on ne changera ni les pratiques, ni les contenus. Même les résultats désastreux de notre pays aux évaluations internationales ne font rien bouger dans le fonctionnement du système. On les explique par l’insuffisance des moyens alors que chacun sait bien que la réduction des effectifs, par exemple, n’a aucune influence sur les résultats des élèves, d’autant qu’il est illusoire qu’un gouvernement, même autoproclamé progressiste, aille au-delà de quelques élèves en moins par classe. Les opérations conduites par Luc Ferry et JM Blanquer au niveau des CP, n’ont pas conduit à des changements de pratique et leurs résultats se sont révélés très décevants. Alors, on attribue la responsabilité de l’échec aux enfants eux-mêmes, ils ne travaillent pas, et à leurs parents qui ne les font pas travailler, alors que la notion de travail n’est jamais clairement explicitée. Les enfants se posent d’ailleurs la question : comment on fait pour travailler ? Les exercices d’application de règles qu’ils n’ont pas comprises et les exercices de remédiation pour des savoirs et des compétences qui n’ont pas été « médiés » n’ont aucun sens pour eux. Ils n’existent qu’à l’école. Il n’y trouve rien de comparable dans la vraie vie.
On ressort alors la fameuse politique du pilotage par les résultats, qui a tant plu aux corps d’inspection qui y trouvaient des raisons de continuer à exister, alors que l’on est incapable d’identifier, de classifier, les pratiques qui produisent ces résultats. Il est vrai que la perspective d’analyser les pratiques pédagogiques déplacerait la responsabilité des échecs et difficultés, libérant les élèves d’un poids, mais chargeant les enseignants, leur formation, leur accompagnement professionnel, ce qui serait évidemment un scandale pour bien des praticiens et pour leurs représentants qui ne peuvent pas concevoir de remettre en cause non pas leur personne, mais leurs pratiques, celles qu’ils ont apprises ou qu’ils reproduisent, souvent celles qu’ils ont eux-mêmes vécues comme élèves et comme étudiants.
Comment sortir de ces cercles infernaux, finalement confortables pour les conservateurs, pour les aigris et les résignés, les désabusés, ceux qui ne croient plus à rien, qui écoutent les penseurs en se disant « cause toujours » ? Comment rompre avec une histoire qui détruit, à petits feux ou à grands désespoirs, l’école depuis plus de 50 ans ? Certainement pas en répétant ce que l’on dit depuis 50 ans sans être entendu. Certainement pas en déshumanisant l’institution sans espoir de vaccin contre l’évaluationnite, maladie du système, avec des techniques, des dispositifs, des graphiques, et une immense vanité.
Les drames et catastrophes. Le changement s’impose
La vie continue donc tranquillement avec ses trois petits pas en avant et ses deux grands pas en arrière, avec ses balanciers dont le pivot reste bien fixe, avec ses alternances qui ne changent rien. Mais soudainement, les catastrophes surviennent, bousculent tout, remettent en cause des pratiques considérées jusqu’alors comme éternelles et universelles. Sous le coup des émotions, on retrouve alors des accents de lucidité et des discours à tendance réformatrice. Oui, il faudrait, on devrait, les valeurs sont perdues, ils (qui ?) n’ont plus de repères, ça ne peut plus continuer comme ça, on va dans le mur… il va falloir une vision de l’avenir, un projet de société mobilisateur…
Cette année 2020 aura été exceptionnelle, dramatique à plusieurs égards, accumulant plusieurs phénomènes sur des mêmes lieux, démolissant des certitudes.
Les plus grands penseurs, les politiques au plus haut niveau, clament sur tous les plateaux et les toits : « Rien ne pourra jamais plus être comme avant ! ». Et les citoyens éclairés pensent : « Ils nous l’ont déjà fait, ce numéro ! »
Les attentats successifs, les assassinats, l’horrible décapitation d’un professeur, ont remis les valeurs sur le devant de la scène. On en a beaucoup parlé durant quelques jours. On a reparlé avec force du rôle de l’école, et on a tourné la page. Il est vrai que tout est fait pour que l’on ne change rien. On se donne bonne conscience en déclarant que tous les enseignants transmettent les valeurs – ce qui est faux -, que les valeurs sont « derrière tous les savoirs » – ce qui est faux -, que l’heure ou les heures d’instruction morale et civique ont été instaurées pour cela – ce qui réducteur et inefficace -, que l’instruction civique est une discipline associée à l’histoire – ce qui est insensé -. Ajoutons au tableau noir que la pandémie a mis en évidence lors des confinements que les programmes scolaires sont trop lourds et qu’ils s’imposent si fortement avec leurs contrôles, leurs évaluations, leurs exercices répétitifs, qu’ils étouffent les valeurs et les finalités. Le problème est d’autant plus préoccupant que l’institution a toujours tendance à en ajouter sans en enlever. Nul doute que l’on ajoutera demain des heures d’instruction civique et morale, sans rien enlever et sans se poser la question de l’utilité des savoirs scolaires accumulés, puis oubliés pour une forte proportion d’entre eux. Combien d’étudiants à « bac plus plus » savent comment un avion vole à 1000 km à l’heure, comment un énorme pétrolier flotte, comment se forme la buée, faire un croquis du tube digestif, etc, etc. André Giordan a démontré à quel point la rétention des savoirs disciplinaires, protégés par des corporatismes séculaires, est faible (1)…
Il faudrait donc inverser l’ordre des priorités : d’abord les valeurs et les finalités, les objectifs généraux transversaux, ensuite les savoirs disciplinaires utiles. Qui aura le courage nécessaire ?
Il y aura d’autres attentats et on parlera à nouveau, pendant quelques jours, avant que l’institution se rendorme dans sa ouate.
Les leçons à tirer
- Les programmes sont trop lourds
- Les valeurs et les principes sont toujours écrasés, relégués, ignorés
- Les cloisonnements disciplinaires font perdre le sens des savoirs. L’intérêt des transversalités, des pluridisciplinarités est systématiquement ignoré
- La diffusion des savoirs hors l’école, en temps de drame ou de crise, est telle que l’école est souvent discréditée face aux vulgarisations et aux images des médias, aux recherches hors de l’école avec Internet.
La pandémie a bouleversé le fonctionnement de l’école. Elle a renforcé enfin la prise de conscience de graves problèmes qui avaient été sous-estimés, négligés, trop de penseurs et d’acteurs considérant que leurs certitudes étaient éternelles et qu’il suffisait d’améliorer le passé.
L’accroissement des inégalités en éducation. Le phénomène était inquiétant depuis longtemps, unanimement signalé par les sociologues. Il a conduit les pouvoirs publics à ajouter des dispositifs au fonctionnement ordinaire : éducation prioritaire, soutien scolaire, réseaux d’aide, circulaires et notes de service, etc. Dispositifs remis en cause, corrigés, annulés, puis rétablis sous un autre nom… Aucun n’a été et n’est vraiment satisfaisant, dans la mesure où il s’ajoute à la pratique ordinaire sans la remettre en cause. Comme je le disais souvent en formation des maîtres : mettre de la confiture ne change pas le pain et c’est le pain commun qu’il faut d’abord changer.
La disparition du monopole de la transmission des savoirs par l’école. L’école n’a jamais vraiment pris en considération les savoirs initiaux des enfants et de leurs parents. Elle a toujours fait comme si l’enfant était une table rase, qu’il n’avait jamais vu d’écrit autour de lui, qu’il ne pouvait pas savoir puisqu’il « ne l’avait pas fait à l’école ». Elle n’a pas vu non plus qu’avec l’arrivée des outils numériques, les enfants avaient accès à des savoirs et apprenaient hors l’école. Parfois des connaissances mieux présentées qu’à l’école. Parfois des connaissances sans rapport direct avec les contenus segmentés et juxtaposés des disciplines scolaires, mais qui les intéressent. Le fait d’ignorer ces savoirs, notamment les savoirs des milieux pauvres – car ils en ont !- est un facteur d’échec scolaire. L’enseignement à distance a contraint l’école à changer de regard sur les apprentissages hors l’école, mais l’école, enfermée dans ses sacro saints programmes que l’on ne parvient jamais à finir, n’a jamais été préparée à exploiter explicitement cette richesse potentielle. La pandémie impose que l’on reprenne la réflexion sur les rapports entre l’école et les familles, et au-delà, avec les autres porteurs de savoirs dans la cité. L’éducation populaire pourrait aussi retrouver ainsi des raisons d’agir.
Les potentialités du numérique. L’usage incontournable des ordinateurs à la maison a posé des problèmes considérables d’articulation entre les activités des élèves. Les enseignants n’y étaient pas préparés du tout. La tendance a donc été de donner des exercices d’application et de fixation, avec corrections sommaires, le plus souvent sans pouvoir reprendre une démarche de construction des notions. Le numérique offre des possibilités de travail intelligent et utile, au-delà des exercices. Encore faut-il y réfléchir, engager des recherches et les diffuser, solliciter les enseignants qui ont trouvé « tout seuls » sans l’aide de l’institution. Il serait urgent de le faire en se disant que ce serait gâcher les potentialités du numérique si l’on se contentait de l’utiliser pour faire « de la même chose » qu’avant.
Ajoutons la question de l’ennui et celle du temps perdu. La pandémie les a mises en évidence si fortement qu’il serait scandaleux de les ignorer à nouveau. Elles mériteraient de nouvelles réflexions, des recherches honnêtes, sans blesser les acteurs. Beaucoup reconnaissent la réalité, mais il est toujours difficile, délicat, de dire la vérité sans irriter ou provoquer la colère.
On sait que de nouvelles pandémies sont susceptibles de se reproduire. Or, ayant tourné la page des premières, on refuse apparemment de tirer les leçons des drames et des dégâts. On reprend les discussions et les cours « d’avant » ! Pour combien de temps encore ?
Les leçons à tirer
- Les programmes sont trop lourds. La multiplication possible des périodes de déscolarisation aggrave considérablement le fait que l’on ne peut jamais les « finir ». Encore moins avec les temps de pandémie ! On retiendra aussi que pour gagner du temps, il conviendra de considérer que l’on apprend à lire, à parler, à écrire, à raisonner dans toutes les disciplines, et que si l’on réussit à expliciter ces évidences, à les mettre en pratique, d’une part on gagnera du temps et d’autre part, on pourra mieux garantir le sens des apprentissages. Force sera également de considérer que les cloisonnements internes des disciplines scolaires n’a pas de sens hors des universités. La grammaire, l’orthographe, le vocabulaire, la conjugaison, etc ne sont pas des pré requis à la maîtrise de la langue.
- L’enseignement distanciel bouleverse complètement les apprentissages en réduisant le temps consacré à des activités de construction, de résolution de problèmes, d’expression/communication. Or, il n’est pas un objet d’étude commun aux différents acteurs
- Le rôle des parents et des autres acteurs possibles de l’éducation n’est pas pris au sérieux. Répétiteurs, contrôleurs d’exercices, sous-enseignants ne sont pas associés à la conception et au suivi de l’action éducative
Les catastrophes naturelles ont alerté dramatiquement sur les décalages entre les apprentissages scolaires et les réalités. Le réchauffement climatique, les problèmes de l’eau et de l’aménagement du territoire devraient interpeler les auteurs des programmes. Des pédagogues progressistes et des prospectivistes, des philosophes et des savants font des propositions depuis longtemps. Elles se heurtent toujours aux corporatismes et au manque de courage des politiques. On sait bien que les drames, comme ceux qu’ont connus les Alpes Maritimes se multiplieront. Ils poseront des problèmes de compréhension pour les enfants, les savoirs scolaires étant très éloignés des réalités, des problèmes d’enseignement à distance, des problèmes de citoyenneté / solidarité. On retrouvera ainsi, hélas, les problèmes évoqués dans les domaines précédents dans ce texte… et les mêmes leçons à tirer.
Les leçons à tirer
- Lourdeur et pertinence des programmes scolaires. Quelle place pour la santé, l’économie, l’écologie, la philosophie ?
- Place effective des apprentissages à la solidarité, à la responsabilité, à la compréhension, etc. Les valeurs. La connaissance du territoire.
- Rôle des parents, des éducateurs, des porteurs de savoirs proches de l’école. Les technologies de communication
Pour changer l’école… en sortir pour s’en sortir.
Depuis plus de 50 ans, on répète qu’il faut changer l’école et on n’y parvient jamais. Il est vrai que ceux qui proposent le changement ne changent pas non plus (2).
Comment proposer le changement sans jamais changer soi-même, que l’on soit à gauche ou à droite, pédago ou antipédago, ancien ou moderne ? On tient toujours le même discours, on inscrit toujours ses revendications, ses propositions, ses projets, dans les mêmes postulats. On cherche à améliorer l’existant sans le changer fondamentalement. On est incapable d’envisager des ruptures alors que les leçons à tirer d’une analyse des réalités, du vécu des gens aujourd’hui, imposent de rompre courageusement avec le passé. On est incapable de se libérer de ce passé millénaire pour se projeter dans l’avenir à long terme. Les prospectivistes n’ont jamais eu la parole dans le monde de l’éducation. Quel sera l’honnête homme de la seconde moitié du 21ème siècle ? Comment vivra-t-il dans un environnement de plus en plus complexe ? Qu’espère-t-on du citoyen de demain en termes de liberté, d’égalité, de fraternité, d’exercice des responsabilités individuelles et collectives ?
Aucune rupture n’a pu être réalisée dans le système éducatif (3). Même pas celle qui semblait évidente, logique, cohérente avec la prolongation de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans, c’est-à-dire la création de l’école fondamentale, l’école de la scolarité obligatoire, détruite par des groupes de pression de droite et de gauche réunis.
Alors, on bricole toujours et on se lamente, laissant les mains libres à ceux qui finalement, de bonne foi d’un côté comme de l’autre (chacun la sienne), détruisent l’école en refusant d’en porter la responsabilité. La place est laissée à la mécanique de la technocratie, à des neuroscientifiques qui observent le cerveau oubliant les enfants, à des experts de tout et de rien.
Les ministres successifs oublient vite leurs grands desseins quand ils en ont, scrutant les sondages d’opinion avec des ambitions strictement limitées au court terme. Il faudrait un ministre des apprentissages tout au long de la vie plutôt que deux, trois ou quatre ministres qui frôlent les mêmes choses sans s’y engager de manière cohérente
Si au lieu de concevoir les réformes en fonction des contenus des disciplines scolaires (4), on les concevait en fonction d’une vision de l’avenir de l’humanité, les ruptures s’imposeraient et les citoyens pourraient alors les comprendre. Et si, en plus, on les mobilisait eux-mêmes dans des projets éducatifs de territoire
L’urgent serait de mobiliser tous les citoyens sur quelques principes prioritaires, d’oublier les sacro-saintes disciplines scolaires, de reprendre sérieusement enfin les piliers présentés par Jacques Delors à l’UNESCO
- apprendre à apprendre tout au long de la vie. Comment on fait ?
- apprendre à faire. Comment on fait ?
- apprendre à être. Comment on fait ?
- apprendre à vivre ensemble ; Comment on fait ?
Et pour les acteurs de l’éducation globale
- Développer l’intelligence
- Développer la capacité de comprendre le monde qui nous entoure
- Développer la capacité de s’exprimer et de communiquer
- Développer la capacité d’exercer ses responsabilités
Tout cela en s’imprégnant bien de quelques évidences bien mises en lumière, non pas par des spécialistes des disciplines naturellement complices de fait de l’immobilisme, non pas par des marchands, mais par des philosophes, des prospectivistes, voire des poètes. Je pense évidemment à Edgar Morin, Michel Serres, Philippe Meirieu… Écoutons-les !
Elsa Triolet : « Le futur n’est pas une amélioration du présent. C’est autre chose. »
Einstein : « L’imagination est plus importante que le savoir. »
Gaston Berger : « Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépend de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. »
Gramsci : « L’ancien se meurt ; le nouveau ne parvient pas à voir le jour ; dans le clair-obscur, surgissent les monstres. »
Condorcet : « Toute société qui n’est pas éclairée par des philosophes est trompée par des charlatans. »
Notes
1) André Giordan. Apprendre ; Editions Belin. 1999. « Toutes les évaluations sont formelles à cet égard. A la fin d’une scolarité, même réussie, le savoir véritablement engrangé est d’une grande pauvreté » page 8
2) J’ai souri en lisant que mes collègues des deux principaux syndicats de l’inspection, ravis que le ministre leur propose enfin une unification des corps d’inspection, s’empressent de rappeler qu’il faut absolument maintenir les champs disciplinaires multi centenaires. Pourquoi ne pas supprimer, en y étant, la richesse de la polyvalence dans le premier degré, déjà bien mise à mal ?
3) Parmi les bonnes idées rapidement enterrées, le projet éducatif de territoire (Vincent Peillon) aurait pu être un formidable levier pour sortir du marasme. Il a été très vite étouffé par l’administratisation maladive de l’Education Nationale… et la priorité des 4 jours et demi de sinistre mémoire
4) Par exemple, pour échapper aux éternels débats sur la lecture, on pourrait partir de l’évidence que les enfants apprennent à lire ailleurs qu’à l’école, dès la petite enfance… et que l’école a tort de croire qu’elle détient le monopole. Cette nouvelle approche qui scandalisera certains lecteurs, pourrait pourtant être salutaire…