Publié dans « Savoirs émancipateurs »
Comme Georges Brassens :
« Il suffit de passer le pont,
C’est tout de suite l’aventure.
Laisse-moi tenir ton jupon
J’t’emmène visiter la nature.
Il suffit de trois petits bonds
C’est tout de suite la tarantelle
Laisse-moi tenir ton jupon,
J’saurai ménager tes dentelles »
Comme Etienne de la Boétie :
« (Il suffit) de ne plus le soutenir et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre ».
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Rejoindre le troubadour de Sète ou l’ami de Montaigne, c’est goûter à l’émancipation ; il suffit de sauter le pas, trois petits bonds…
L’un évoque la hardiesse d’une jeunesse délurée, l’autre invite à se libérer de la servitude volontaire.
S’il est un domaine où l’émancipation des mentalités est désirable, c’est bien l’école.
Nous avons tous connu des professeurs qui nous ont marqués par leur largeur d’esprit, qui nous séduisaient par de l’affranchissement, du souffle, de l’audace, de la bousculade des tabous, de l’irrévérence, de la provocation, des visées hautes, de la fraternité, de la poésie.
Ces conquérants des idées, nous les chérissions d’autant plus que d’autres professeurs semblaient marquer le pas dans la tradition, à l’affût de nos erreurs, prompts à la sanction, à la dénonciation à nos parents, à la menace, jamais pétillants d’invention, sur la défensive.
Comment se fait-il qu’un enseignant se libère de la routine et que son collègue y stagne ?
En dehors de raisons psychologiques, donc tenant à l’aventure personnelle de chacun, voyons « les ponts à passer », « les colosses à faire fondre », bref, les moyens institutionnels d’ébranler pour consolider ensuite.
Il suffit ( !) d’en dresser la liste et de commencer l’aventure hardiment, aller de la réflexion à l’action, un paradigme hautement politique, un élan pour l’éducation que le Futur menacé mérite.
Or donc, pour développer un enseignement émancipateur, il convient de :
- Transformer ses pratiques pour que l’élève se construise des savoirs savoureux avec les autres, dans la confiance maître/élève où l’erreur n’est plus punie. Hardi, hardi !
- Donner la priorité au culturel et non au scolaire, l’accorder au scolaire devenu culturel.
- Etablir une cohérence entre modes d’apprentissage et modes d’évaluation, donc un apprentissage coopératif vaut une évaluation solidaire. Répondre à deux, c’est permis.
- Se passer des points sur des bulletins qui ne sont pas légalement obligatoires.
- Faire apprendre jusqu’à la dernière minute avant les congés et ainsi éviter de perdre deux années scolaires sur douze (voir www.panote.org : « A la reconquête du temps perdu » dans la rubrique ‘articles Ch.P.’) ), donc, finis les redoublements : à 18 ans chaque élève aura disposé, à son aise, de 14 années de formation… comme s’il avait redoublé deux années mais fier de lui. « Si donc on éradiquait ces trois pratiques gaspis (révisions, examens notés, redoublements) ne reposant que sur des habitudes liées au dogmatisme et à l’exclusion, on gagnerait ainsi deux ans, chaque élève disposerait dorénavant de 14 années scolaires en 12 ans. A l’aise, comme dans des pays scandinaves. »« Â Les examens, considérés comme des événements importants qui rythment la succession des trimestres, y tiennent une place démesurée. Charles Pepinster, du GBEN, a calculé que, compte tenu de leur préparation et de leur correction, ils représentent une durée de deux années sur les douze des études primaires et secondaires. Ce sont deux années inutilement consacrées non à aider les élèves, à les faire progresser mais à les juger, les sélectionner, les exclure ». Albert JACQUARD, Mon utopie, Paris, Stock, 2006, p.183. »
- Former des équipes de professeurs dont le temps de présence à l’école déborde le temps des élèves pour une préparation mutuelle des cours.
- Remplacer les devoirs obligatoires par des recherches libres à présenter aux condisciples et passer ainsi de la soumission au partage fraternel. Là, transmettre permet d’apprendre soi-même. « Qui docet discit » pensait Sénèque.
- Substituer aux examens externes le chef-d’œuvre pédagogique, voir site gben.be
- Etablir l’horaire et les contenus des cours avec les élèves dont les souffrances seront entendues par des adultes résilients.
S’émanciper, c’est quitter ses prisons mentales pour agir librement avec les autres pour le bien de tous.
Il suffit de passer le pont,
C’est tout de suite l’aventure…
Ch. pepinstercharles@yahoo.be (GBEN)
L’école de la réussite, mais quelle réussite ?
« Si, à cinquante ans, on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie », dixit Jacques Séguéla, publiciste français au service de Mitterand, Jospin, Sarkosy, Bongo, Van Cauwenberghe et d’autres …
Ce n’est pas une prophétie mais simplement une sorte d’excès de langage.
Celui-ci reflète parfaitement une mentalité répandue : réussir c’est gagner des points dans une compétition ; en conséquence, ‘vae victis’.
à l’école déjà, les élèves qui réussissent sont ceux qui accumulent des bonnes notes arbitraires leur permettant de passer dans la classe suivante, un système calqué sur le modèle de l’économie de marché.
Cette conception bancaire de l’école a été dénoncée par Paulo Freire, ce pédagogue brésilien qui a alphabétisé des millions de pauvres.
Elle subsiste cependant et semble gagner du terrain. Elle est même un socle du « Pacte pour un enseignement d’Excellence » en Belgique francophone.
La pratique des examens internes et externes chiffrés est en cohérence avec une pédagogie basée sur la motivation d’excitation, la carotte et le bâton, nécessaire pour ‘tenir’ les élèves inintéressés en respect.
L’Education Nouvelle, en revanche, avance que réussir, c’est se construire une personnalité forte tournée vers les autres. C’est aussi vouloir rencontrer sans cesse des horizons nouveaux dans les domaines culturel et social avec le souci de fonder une civilisation de Paix, avant tout préoccupée d’écologie, gage d’un Futur durable.
Dans cette perspective humaniste, boucler le cursus espéré cela devient un moyen, bien nécessaire certes, mais surtout utile pour s’inscrire dans une société à transformer afin de sauvegarder les espèces vivantes.
Cet accès doit se faire dans la fraternité qui unit et non dans la compétition qui exclut.
Le critère de réussite devient donc de donner la preuve de sa compétence grâce au chef-d’œuvre pédagogique, au portfolio par exemple et non de ‘réussir’ des épreuves rendues arbitrairement faciles ou difficiles et pondérées au pif…
La réussite ainsi redéfinie pour l’élève postule son recadrage pour le corps professoral. Réussir son métier d’enseignant consiste donc à former des élèves avec rigueur, sans recourir au système bancaire qu’est le paiement de leurs performances avec une fausse monnaie, mais en les rendant lourdement armés pour explorer et construire une société restée vivable, de manière créative et solidaire.
Charles Pépinster.
pepinstercharles@yahoo.be