Idée folle pour réinventer l’école

Publié dans « Système éducatif »

La crise des banlieues, mais aussi la vie quotidienne dans les établissements scolaires, et surtout la désaffection de tous pour un savoir devenu utilitaire pour les uns, excluant pour les autres, sont des signaux d’alarme auxquels ne peuvent répondre des annonces aussi démagogiques que dérisoires : restaurer «l’autorité», dénoncer la méthode «globale», dépister les comportements délinquants dès le plus jeune âge, mettre les récalcitrants en apprentissage et au passage supprimer le «collège unique»…

La solution est-elle dans une énième réforme ? Le mot même est devenu synonyme d’incohérence, d’impuissance et de contradiction. Un jour, l’école doit «s’ouvrir», un autre, elle doit se muer en «sanctuaire». L’organisation officielle en cycles, préconisée depuis la loi d’orientation de 1989, est massivement ignorée. Le collège, qui doit assurer «à tous un tronc commun de connaissances», organise dans les faits la sélection et la ségrégation.

Pour faire face aux exigences des temps présents et aux difficultés extrêmes d’enseigner aujourd’hui, il faut redéfinir la fonction et la mission des enseignants. Une opportunité exceptionnelle pourrait le permettre. En effet, d’ici à 2011 et pour le seul second degré, 145 000 professeurs vont entrer dans le métier. Mais aucune circulaire ministérielle n’est en mesure d’imposer un nouveau contrat, et nul formateur de formateurs ne saura y préparer les futurs enseignants, faute d’en avoir lui-même l’expérience individuelle et collective. Aussi proposons-nous une construction méthodique de ce nouveau contrat, en mettant les enseignants en situation de recherche. Pour ce faire, il faudrait impulser des «recherches-actions» conduites collectivement et ayant pour objet de s’attaquer aux contradictions qui paralysent l’institution, de lutter contre l’exclusion, de (re)donner à tous ­ adultes comme enfants ­ le goût d’apprendre et de s’investir dans la vie collective de l’établissement, du quartier, de la ville. De nombreuses innovations existent déjà, mais elles sont dispersées et rarement pérennes.

Trois missions essentielles à la recherche en éducation

Il s’agirait de donner à la recherche en éducation trois missions essentielles : susciter, soutenir dans la durée et mettre en réseau un nombre important de pôles innovants répartis dans toutes les régions ; développer un dispositif interne d’évaluation à moyen et long termes ; faire connaître les réalisations, les difficultés et les ajustements aux réalités afin d’en permettre une analyse collective. Une recherche dotée des moyens indispensables et d’une autonomie de gestion qui la dégageraient de l’étroit corset administratif, l’objectif étant de produire ensemble des savoirs et des pratiques nouvelles confrontés à la réalité.

Les formateurs de formateurs, y compris les corps d’inspection et les universitaires, auraient pour mission de s’impliquer dans ces recherches-actions avec leurs étudiants. A terme, les enseignants du primaire et du secondaire, comme ceux du supérieur, pourraient ainsi investir le statut d’enseignants-chercheurs qui, plus encore qu’un statut, est une manière d’enseigner et d’apprendre. Ces mesures contribueraient à faire pénétrer l’idée de changement dans une société crispée sur des apprentissages formels, peu intégrés, sans finalité cohérente. Réorientation du métier qui constituerait sans doute aussi un levier pour sortir du «malaise enseignant».

L’expérience de cette implication directe des établissements et des enseignants dans la recherche pour changer l’école, qui s’est développée le plus souvent sous l’impulsion des mouvements pédagogiques et de l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique), parfois pendant des décennies, permet de retenir quelques conditions indispensables :

­ des équipes doivent se constituer sur la base d’un «projet pédagogique de recherche», concernant l’ensemble des cycles pour ce qui est du primaire et, pour le collège, d’un ou plusieurs «mini collèges» regroupant une équipe pluridisciplinaire autour de cohortes de 100 élèves. Mais pour ce faire, il s’agit d’assouplir les conditions de nomination ;

­ les projets doivent viser la réussite et la promotion collective de tous les élèves, et non la compétition de chacun contre chacun ;

­ ces équipes doivent avoir la maîtrise de la mise en oeuvre du projet, du recueil des résultats, de leur analyse, avec des chefs d’établissement fédérateurs d’une vraie «communauté éducative» qui intègre les parents, mais aussi les acteurs socioculturels. Car c’est bien là où les problèmes sont posés que les solutions s’inventent. 


Jean-Pierre Bénichou, Elisabeth Bourgain, Henry Chaillie, Jean Foucambert, Bruno Mattei, Raymond Millot, Rolande Millot, Bertrand Schwartz, Marie-Laure Viaud : membres de l’AFL

Texte de 2006

qui est toujours valable

Une réflexion au sujet de « Idée folle pour réinventer l’école »

  1. […] Nous étions convaincus l’un comme l’autre que cette recherche était en contradiction totale avec le système chargé par nature de la reproduction sociale, et pourtant nous militions pour que de telles recherches puissent (un jour) se multiplier…Nous avons même, avec quelques ami-e-s, formulé cet espoir en décembre 2006 dans une tribune de Libération qui titra « idée folle de réinventer l’école ». […]

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