La démarche de recherche-action

Par Raymond Millot. Publié dans « Recherche-action »

Ce texte, issu du collectif « Pédagogie Politique, démocratie participative », date de 2002. Il reste d’actualité alors que nous souhaitons des changements radicaux du système éducatif et que nous aimerions qu’ils fassent l’objet de débats dans des Conventions Citoyennes (régionales et nationale)

La « recherche-action » est une démarche de recherche indissociable de l’innovation dans le système scolaire.

Elle implique la mise en réseau des expériences, des analyses et théorisations, coopération non hiérarchique entre acteurs enseignants (et parfois parents), experts et chercheurs. Elle constitue un processus hautement formateur pour les professionnels.

La recherche-action nous semble appropriée pour explorer l’innovation démocratique que constitue la démocratie participative. Base de politisation et promotion collective et processus hautement formateur pour les militants.

L’idée de démocratie participative apparaît comme un antidote à la désaffection politique qui mine le corps social. Sa mise en œuvre nécessite l’élaboration d’une pédagogie spécifique. A cet effet, l’expérience acquise dans le champ éducatif mérite d’être sollicitée.

Affirmons tout d’abord que l’échec scolaire, bien qu’important, n’est pas la cause de cette désaffection. Avec 65% de bacheliers on ne devrait pas se diriger vers la barre des 50% d’abstentionnistes !

L’origine de l’échec éducatif est politique

En revanche, on peut incriminer l’échec éducatif. Son origine est précisément politique.

Il est en effet difficile de nier que l’idéologie individualiste « libérale » est massivement dominante dans les pratiques et les objectifs de l’école, qu’elle ne donne guère le goût pour la chose publique, que les incantations « républicaines » à la citoyenneté n’y changent rien.

La désaffection politique n’est pas seulement un problème électoral. Elle concerne toute la vie démocratique. Les mouvements récemment apparus qui combattent la marchandisation du monde, l’uniformisation culturelle, le saccage de la planète, l’accroissement mondial des inégalités misent sur la « démocratie participative » comme moyen de redonner sens et efficacité à l’action collective.

Le fait qu’ils se réclament de « l’Education Populaire » – ou qu’ils en procèdent- devrait les rendre particulièrement attentifs au problème de la pédagogie employée, surtout s’ils souhaitent que cette démocratie participative soit précisément « populaire ».

On remarquera qu’à différents moments historiques où l’espoir d’un autre monde se profile, le lien entre pédagogie et politique s’est affirmé. En Espagne avec Francisco Ferrer, en Russie avec Makarenko, en France avec Célestin Freinet, avec Langevin Wallon, au Brésil avec Paolo Freire…

S’il s’agit bien de construire une démarche pédagogique qui favorise l’exercice d’une démocratie participative incluant les milieux populaires, l’expérience des pédagogues qui œuvrent depuis longtemps pour une éducation sans exclusion mérite d’être sollicitée.

En contribution à l’élaboration d’une pédagogie politique adaptée aux espoirs de notre temps, nous proposons les hypothèses suivantes :

1/ Il existe un rapport entre désaffection pour l’école et désaffection pour la politique :

Ecole : l’illusion de « l’égalité des chances » et la promesse d’un billet pour « l’ascenseur social » ne font plus illusion. La désaffection pour l’école qui en résulte est notablement enrayée lorsqu’on adopte une pédagogie reposant sur des valeurs de coopération, de solidarité, de respect mutuel, sans pour autant nier les inégalités et ignorer leurs déterminants économiques culturels et sociaux.

Politique : les illusions d’un avenir garanti par « le sens de l’Histoire », les promesses d’un monde meilleur porté (et confisqué) par « des avant-gardes » ne font plus illusion. La désaffection pour la politique peut être surmontée lorsqu’on adopte une pédagogie politique qui prend en compte la complexité du monde et qui renouvelle les valeurs de solidarité, et de fraternité.

2/ Certains parallèles peuvent aider à établir les bases d’une pédagogie politique .

Entre 

  • le projet de placer l’élève au centre du processus d’apprentissage, de le respecter en tant que personne, de connaître ses représentations, sa façon de percevoir et de s’approprier ce qu’on souhaite lui transmettre, de faire de lui un co-acteur de son éducation
  • le projet de placer le citoyen au centre du processus de politisation, en respectant sa personne, en partant de son expérience, ses savoirs, son travail, ses engagements, ses créations, ses représentations, ses contradictions pour faciliter son entrée dans le débat et les luttes collectives.

Entre 

  • la mise en question du projet de « transmission du savoir » que pense opérer celui qui sait, le maître, en faisant un cours à ceux qui ne savent pas, les élèves : à l’école«toute leçon doit être une réponse à une question » (le philosophe et pédagogue américain John Dewey, fin XIXème).
  • la mise en question du projet de transmission d’une pensée politique à partir d’une doctrine, de manifestes, de discours « experts», de réalisations modèles : en politique, toute analyse, toute théorie doit répondre à une interrogation ou à un besoin lié à l’action.

Entre 

  • la construction des savoirs scolaires et la construction d’une « culture commune », projet que l’enseignant/éducateur veut partager avec l’élève/enfant et qui implique production (pédagogie du projet), évolutions personnelles (émancipation, autodidactie), transformations collectives (coopération, solidarité, fraternité), et nécessairement recours, motivé, aux savoirs constitués.
  • la construction des savoirs nécessaires à la démocratie participative et la construction d’une culture commune, projet que des citoyens/engagés veulent partager avec des citoyens/ non engagés et qui implique une production (poser un problème, énoncer les questions, des hypothèses, tenter des réponses, organiser une action), des évolutions personnelles interactives, l’amorce d’un processus de politisation fondé et durable allant du questionnement des experts au contrôle expert de leur pouvoir.

Entre 

  • la promotion collective – alternative à l’individualisme -, qui implique que des enfants, en groupes hétérogènes, deviennent acteurs dans leurs apprentissages, en comprennent le sens, découvrent leur singularité et celle des autres, mettent en commun leurs compétences en faveur de projets communs et développent ainsi leur potentiel individuel.
  • la promotion collective – alternative au consumérisme et à l’individualisme libéral -, qui implique que des groupes socialement hétérogènes d’adultes forment le projet de devenir acteurs dans la production d’un savoir nouveau (la démocratie participative), de renouer avec les idées de mutualité, de coopératives, de syndicalisme « émancipateur » issues du mouvement ouvrier, de l’éducation populaire.

Un exemple de recherche-action, innovation à l’école

Présentation du livre ci-dessous « […] fruit du travail des quelques 150 institutrices et instituteurs qui ont fait la Villeneuve de Grenoble, en collaboration avec l’Institut National de la Recherche Pédagogique. » Catherine Chabrun, 2013. Télécharger le texte ici.


Raymond Millot : recherche-action à la Villeneuve de Grenoble
Editions AFL (Association Française pour la Lecture), 2013.

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